C
ertains se souviennent peut-être des Crados, séries de cartes « trash » à collectionner qui faisaient le bonheur des écoliers des années 80, une époque où la notion de « politiquement correct » n'était pas aussi répandue. Utilisant un autre support très différent pour raconter leurs mésaventures, Wizz et Buzz naviguent dans le même registre que Gudule Pustule ou Jean Louis Degueulis : la crétinerie jouissive. Avec un impact forcément encore plus fort dans une société bien plus aseptisée qu’il y a vingt ans. La forme est donc primordiale, et en particulier le dessin : d’apparence grossière, il révèle son efficacité au fil des pages. Les personnages sont caricaturaux mais l’ensemble est dynamique, et Winshluss joue habilement des couleurs pour planter les différents décors.
Ados désœuvrés, Wizz (le petit gros à tête de cochon) et Buzz (grand débile à la mèche dans les yeux) passent leur temps à se jouer des tours pendables et sont les héros d’aventures loufoques, d’un tournage de pub, d’un programme éducatif… On sent la volonté des auteurs de ne pas se donner de cadre, de rebondir dans n’importe quelle direction pour peu qu’ils trouvent un concept stupide ou saugrenu à exploiter. On retrouve d’ailleurs ce côté expérimental dans le graphisme et le découpage : gags de une ou plusieurs planches, personnages d’abord récurrents puis abandonnés (dommage d’ailleurs que le rat du début disparaisse, il était encore plus réussi que les héros). Mais tout n’est simplement prétexte à des pitreries sans arrière pensée : tantôt ils se moquent de la vacuité de certaines publicités, tantôt ils abordent le problème de la pollution des plages… souvent aussi les gags tombent un peu plat faute de mordant, de réelle méchanceté, alors que le contexte est idéal pour balancer joyeusement.
C’est dommage et même frustrant, car il se crée un véritable décalage entre la forme, subversive à souhait, et le contenu, beaucoup trop timide dans l’humour corrosif. Certes la collection Shampoing dirigée par Trondheim veut rassembler un large public, et peut-être les auteurs ont-ils voulu gommer un peu leur côté grinçant entrevu dans Monsieur Ferraille ? Oui mais à quoi bon réfréner son tempérament, si c’est pour un résultat en demi-teinte ? Qu’ils se lâchent : la bande dessinée a bien besoin d’un peu de méchanceté.