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es femmes qui voyagent seules ! Comment osent-elles et, comment gagnent-elles leur vie ? Des pécheresses, des tentatrices, des filles de mauvaise vie, oui. Que ce soit au XVIIIe siècle au moment de débarquer et de s’installer en Argentine ou au XXIe siècle dans le Buenos Aires d’aujourd’hui, ceux – celles surtout – qui vivent en dehors des normes ou en retrait, peu importe leurs raisons, ne provoquent que suspicion et mépris. Des walicho, des sorcières dont il faudrait se débarrasser avant que la peste ou une autre calamité ne s’abatte sur le pays !
Remarquée pour l’excellent Naphtaline (çà et là, 2022), Sole Otero revient sur les étales avec un nouveau pavé (350 pages) dense et virevoltant. Histoire à la construction savante, Walicho se découpe en neuf chapitres contrastés ayant comme point commun une étrange sororité aux relents de souffre et à l’aura maléfique. Évidemment, le côté fantastique, genre de fable façon Anne Rice inversé, n’est qu’un prétexte. Le vrai sujet est avant tout de souligner et de montrer la place et le sort réservés aux femmes dans la société argentine (et mondiale) à travers les siècles. Alors, saintes martyres ou succubes assoiffées de stupre les Madames ? Les deux, mon capitaine ! Ah, si la réalité était si simple.
En effet, le côté féministe de l’entreprise est incontestable, Otero évite cependant et heureusement le militantisme primaire et les discours tous faits. Profils psychologiques variés, situations exacerbées juste ce qu’il faut pour mettre en relief les dérives comportementales, une fixation sur la sexualité comme moteur de toutes les errements (et fantasmes) ou simples discussions entre copines ou partenaires de vie, la scénariste fait feu de tout bois et multiplie les scènes, passant de la routine du quotidien au journal intime et au polar décalé au fil de l’ouvrage. Visuellement, c’est pareil. L’autrice ose toutes les audaces en modifiant constamment son style narratif. Autant le dire, le résultat s’avère être d’abord passablement confus, voire embrouillé. Par contre, à mesure que la lecture avance et que les différentes pièces se mettent en place, celui-ci devient totalement logique et implacable.
Moderne, traditionnel, classique et avant-gardiste, aussi envoûtant que mystérieux, parfois à la limite du nébuleux, tout en restant très terre-à-terre et collé à sa problématique principale, Walicho est une BD sans nulle autre pareille. Sole Otero y fait preuve d’un talent de raconteuse impressionnant et d’une intelligence hors du commun dans le traitement d’un sujet ô combien abordé ces jours-ci. Un album exigeant, mais tout le temps surprenant. Attendez-vous à être bousculé !