Résumé: (vue d’artiste), nouvel album inédit de Masse Le but d'une « vue d'artiste » est de proposer une représentation imaginaire mais explicite d'un sujet inobservable directement. C'est bien ce que nous propose Masse avec cet album, un pont entre le sens commun du grand public et le mode de pensée scientifique : il est question ici uniquement de cosmologie. Masse, avec passion et malice, nous emmène avec ses deux complices remonter l'espace (et donc le temps) pour réaliser le casse le plus fantastique de l'histoire de lunivers, celui du Big Bang, réputé inviolable.Oui bien sûr, ça nous paraît incroyable, vu dici Mais Masse utilise le raisonnement par l'absurde pour nous faire approcher des réalités scientifiques dans lesquelles nous vivons sans en avoir conscience.Première BD de Masse depuis 1987, cet album ambitieux restera unique dans l'histoire de la BD par le décalage entre le sérieux scientifique de son fond et la liberté imaginative de sa forme.
U
ne immense échelle de corde perdue dans l’espace sidéral. Sagittarius A, le shérif de la voie lactée, traine à sa suite Dédé d’Andromède, trou noir à la petite semaine de galaxie périphérique. Ils n’ambitionnent rien de moins que de commettre le plus fabuleux casse de l’histoire de l’univers en découvrant le Big-bang.
Même si ce nouvel album est publié conjointement aux Deux du balcon, réédité dans une nouvelle maquette, même si l’on retrouve les deux protagonistes qui se partageaient l’affiche de cet album en 1985, (vue d’artiste) n’en est pas vraiment la suite. Plutôt un prolongement, une re-naissance. Renaissance de l’envie d’écrire, de raconter des choses, après vingt-cinq années de silence éditorial, qui ont vu Francis Masse se consacrer à la peinture et à la sculpture. Mais la passion scientifique toujours chevillée au corps, le besoin de partager, de faire connaitre la beauté abstraite des théories cosmogoniques, le vertige des infinis, le mystère des origines, tout cela a fini par ramener le poète dessinateur sur les chemins de la bande dessinée.
En six chapitres, présentant les principales théories des propriétés de la matière, de la genèse de l’univers, les lois de la physique gravitationnelle ou de la relativité, nos deux compères, symbolisant notre galaxie et sa voisine Andromède, nous entrainent dans un voyage de quatorze milliards d’années à la poursuite du Big-bang. En chemin, ils croiseront des particules improbables, incertaines, de l’antimatière, du boson de Higgs, le chat de Schrödinger, des trous noirs à gogo, des géantes gazeuses et des naines blanches, des univers à dix dimensions enroulés sur eux-mêmes, et, bien entendu, les Dupont Dupond faisant du kite-surf dans la constellation des Gémeaux.
Ce catalogue de concepts qui paraitra effrayant au non initié est pourtant relativement abordable, car la verve inimitable de Masse, pétrie d’humour et de malice, désamorce ce que le discours scientifique peut avoir d’intimidant pour le réfractaire aux délices abstrus de la mécanique quantique. Le propos est bien de donner à voir, de partager ce vertige que l’esprit ressent en se penchant sur les mystères du cosmos, comment chaque découverte soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, créant un vertige encore plus grand, à la mesure de cet espace infini dans lequel notre insignifiant système solaire évolue.
L’humour nonsensique de Masse, ou plutôt ce non-sens apparent qui fait sens une fois décrypté correctement, est en parfaite adéquation avec son sujet. Certaines pages sont véritablement hilarantes, d’autres carrément surréalistes, ou poétiques, et parfois, plus hermétiques, en phase avec le thème de l’ouvrage. Au surréalisme des textes, répond le surréalisme du dessin. Ou des peintures. Le principe de la vue d’artiste étant de donner à voir l’abstrait, l’invisible, la palette de l’auteur jette un foisonnement de couleurs sur ses planches, un bouillonnement de formes protoplasmiques, comme animées d’une vie propre, mais à mille lieues du dessin extraordinairement touffu de ses œuvres passées. Nul doute que la pratique picturale a grandement influencé son trait, qui a abandonné les surcharges au profit d’une explosion joyeuse de coloris.
Déconcertant à plus d’un titre, par la liberté absolue du pinceau, comme par le décalage saisissant entre la rigueur du propos et la fantaisie du ton, cet ouvrage mérite largement l’attention du bédéphile aventureux, qui devra mobiliser ses neurones, certes, mais aussi sa candeur enfantine, pour, au-delà d’une lecture exigeante, ressentir les vertiges conjugués de l’immensité cosmique et de la connaissance scientifique.