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aire du neuf avec du vieux ou l’inverse ? Alexis Mandeville a préféré faire les deux dans Visions. En effet, ce vrai-faux comics vintage au design et aux manières tout droit sorties des années 40 ne se prive également pas de piocher allégrement dans les dernières tendances SF façon MCU (Marvel Cinematic Universe), plus tout ce qui a pu être rangé au rayon anticipation entre les deux. Il en résulte un album foisonnant, à la fois gloubi-boulga retro-futuriste, fable orwellienne et épisode oublié de La Quatrième Dimension.
Première chose qui saute aux yeux : l’auteur connaît ses classiques, poncifs et stéréotypes compris. Société dystopique, savant fou, monstres de l’espace, héros malgré lui, conflits galactiques et réalités parallèles, le scénariste a tissé un récit totalement déjanté, non dénué d’une logique interne implacable. Chaque page, chaque case presque, sert de prétexte à une référence pop-culturelle, tout en nourrissant une trame entremêlée et mystérieuse à souhait. Le plus beau dans l’histoire ? Même si, le scénario distord et étire toujours plus ses rebondissements, la narration retombe immanquablement sur ses pattes. Il reste des questions et tous les trous ne sont pas bouchés ? Pas de problème, ils seront résolus dans le prochain numéro. Comme le veut la tradition depuis Ponson du Terrail, les chapitres ne servent finalement que de rampe de lancement pour une suite à venir et à quelques publicités pour des gadgets au passage.
Évidemment, afin de bien apprécier cet ouvrage aux couleurs et aux péripéties patinées, mieux vaut avoir conservé son âme d’enfant (ou, à la limite, d’ado attardé) et/ou être amateur de kitsch et de deuxième degré. Pour ce qui est d’Alexis Mandeville, ça serait plutôt du premier cas dont il s’agit. Sérieuse dans sa dérision et ses clins d’œil, l’écriture de Visions ne joue pas la carte du pastiche ou de la parodie. Si les décors sont en carton et les descriptifs truffés de jargon aussi scientifique que farfelu qui feraient tomber en pâmoison Edgar P. Jacobs en personne, ce n’est pas (seulement) pour rire, c’est "pour de vrai". Le sort de la planète est en jeu, ne l’oubliez pas.
Exercice de style, pur plaisir de raconter et de jouer avec le lecteur, Visions est une curiosité formelle mettant au centre de son projet le simple bonheur de la lecture et la force de l’imagination.