A
près quelques détours pour cause de signalisations peu claires, David et son cousin quittent la Bulgarie et s’engagent en Turquie. La Thrace rapidement, puis, premier vrai choc de l’expédition, Istanbul. Décontenancés par la masse de la cité, effrayés aussi, mais préférant se réfugier derrière une attitude dédaigneuse propre à des aventuriers de vingt ans («Nous ne sommes pas touristes, fuyons ces curiosités à-ne-pas-manquer et laissons le hasard guider nos découvertes !»), ils décident de traverser derechef le Bosphore et de s’engager à travers la plaine anatolienne. Leur destination ? Ankara et au-delà. Un long ruban d’asphalte s’ouvre alors devant eux. La répétition et la monotonie des paysages font remonter en eux des souvenirs d’enfance et d’autres réminiscences de pérégrinations à venir.
Vroum-vroum crr-crr-crr, la Visa commence à donner des signes de fatigue.
Toujours sur le fil, Nicolas de Crécy continue de raconter son voyage, près de trente ans après les faits. Plusieurs moments saillants profondément gravés dans sa mémoire prennent vie facilement, ils sont complétés par d’autres instantanés, plus nébuleux ceux-ci. Ensemble, il forment un travelogue fondateur passionnant et passionné. Une poignée de regrets se fait remarquer ici et là. « Qui étais-je donc à m’offusquer de la sorte ? » « Pourquoi donc avoir refusé si violemment la visite de la Mosquée Bleue pour des prétextes si futiles ? » Ces questions, évidemment posées a posteriori, resteront en suspens, malgré l’aide de Franz Kafka et d’un Henry Michaux remonté comme jamais.
Ça sent le brûlé, ça ne serait pas l’embrayage qui est train de lâcher ?
Plus loin sur la piste, l’esprit de l’auteur divague vers le futur et, grâce à une rémanence temporelle radiogénique insoupçonnée, il relie son expédition turque à un improbable séjour en Biélorussie dans le cadre d’un festival culturel en 1996. Le président Loukachenko était déjà là remarqueront les historiens amateurs. Pour l’instant, Marc Chagall et le Suprématisme de Malevitch servent de prétexte à un rassemblement hétéroclite d’artistes hauts en couleurs. Là, au moins, le dessinateur a pensé à prendre quelques photos afin de figer les choses pour pouvoir les restituer précisément plus tard. Par contre, il n'est pas certain que ces images prises alors correspondent vraiment à ses attentes artistiques d’aujourd’hui.
Retour au présent, donc au passé, enfin... à la route et à cette guimbarde si inconfortable. Une dernière engueulade de la part de Michaux. Les mots du poète sont pourtant clairs : il faut se prendre en main, arrêtez de le singer et forgez votre destinée par vous-même ! La capitale voulue par Atatürk est à moins de cinquante kilomètres, foncez, racontez !
Espérons que la voiture tienne, il reste un tome avant d’atteindre l'arrivée.