Résumé: Sublimer sa souffrance : retour sur les jeunes années d'un peintre de génie
Peintre fou, exalté, maudit, on ne connaît de van Gogh que ses dernières années. Pourtant quand il décide de devenir artiste, il a déjà 27 ans. Quelles furent son enfance, son adolescence et qu'a-t-il vécu avant de trouver sa vocation ? Il naît en 1853, fils de pasteur, vit une jeunesse bourgeoise et trouve facilement un poste dès ses 16 ans grâce à un oncle marchand d'art. Il va ainsi, pendant plusieurs années, occuper le même type d'emploi ; on le fera aller d'une succursale à l'autre : La Haye, Londres, Paris... mais ce métier petit à petit le lassera. Il va dès lors penser à devenir un homme d'Église en entrant à l'université d'Amsterdam pour devenir pasteur. Échec. Il tentera de devenir prédicateur en étudiant dans une école flamande. Échec, à nouveau. Il est malgré tout envoyé en Belgique dans une région minière, à l'essai. Tandis que son frère Théo gravit les échelons sociaux, lui se montre incompétent et solitaire. Il sera renvoyé de son poste auprès des mineurs, mais va rester néanmoins sur place où il vivra une espèce de déchéance. Il se défait de tous ses biens, habite une cabane pour faire comme Jésus, pauvre parmi les pauvres. Ces 20 mois en Belgique, il va réfléchir à son avenir et se rendre compte qu'il doit se ressaisir. Grâce à son frère Théo avec qui il correspond et qui lui envoie de quoi se nourrir, il en vient à l'idée que depuis toujours il a aimé dessiner : dans ses lettres, notamment, pour expliciter ce qu'il a vu, ressenti mais sans jamais avoir eu une quelconque velléité artistique. Il est féru d'art, un vrai connaisseur et un très grand lecteur, un littéraire. Loin d'être un individu désaxé, il est juste en quête de lui-même. Il va donc, à 27 ans, s'inscrire à l'académie de Bruxelles pour apprendre. Le chemin sera encore long, très long. Réussira-t-il ? Pour lui, il n'a que sa foi...
À travers la jeunesse, les rencontres et les échecs de ce futur grand artiste, nous découvrons en van Gogh un être hypersensible - « bipolaire », pourrait-on dire aujourd'hui - qui fuit autant le monde qu'il l'habite. À la lumière de ses correspondances mais aussi d'un imposant travail de documentation, Sergio Salma livre sa passion méconnue du Vincent "avant" van Gogh, et montre que le don en art est finalement une chose anecdotique.
V
incent a onze ans. Enfant et élève turbulent, son père, pasteur, l’envoie au pensionnat, loin de ses frères et sœurs. Il lui trouve ensuite un emploi chez Goupil, un marchand d'art établi dans les capitales européennes. Le garçon évolue un temps dans ce milieu. Il apprécie les peintures et les gravures, mais se désole de leur commerce. Négligent, il multiplie les erreurs, jusqu'à ce qu'on mette fin à son contrat. Souhaitant marcher sur les traces de l’homme d’Église, il rate son test d’admission. Désargenté, il vient en aide aux déshérités et les dessine... la suite est connue.
Sergio Salma a réalisé un solide travail de recherche pour documenter une période méconnue de la vie du peintre (à l’exception de sa correspondance avec son frère Théo), laquelle est teintée de tensions familiales. La figure la plus marquante est certainement celle du père. Autoritaire, mais aimant, il fait de son mieux pour aider son fils, sans lui demander ce qu'il veut. Sa mère, aquarelliste du dimanche, ne parle pour ainsi dire jamais ; elle aura néanmoins, contre toute attente, une incidence déterminante sur le devenir de celui qui connaîtra une gloire posthume.
Le récit, fondamentalement banal, est celui d'un être systématiquement confronté à l'échec. Le gaillard est entêté, mais, au final, il n'a pas les dispositions voulues pour assouvir ses passions. Allez savoir si, de nos jours, un médecin ne lui diagnostiquerait pas un trouble du déficit de l’attention.
La question du narrateur ne peut être passée sous silence. D’abord parce qu’il est le premier bébé du couple, mort-né une année avant la naissance du protagoniste. Ensuite, en raison de l’adoption du tu, comme s’il s'adressait au héros pour lui expliquer sa vie. Cette coquetterie littéraire étonne, sans pour cela se montrer désagréable. Disons que ça n’apporte pas grand-chose.
Auteur complet, l’artiste aborde le sujet avec un trait hésitant et semi-réaliste, convenant du reste très bien au projet. Son travail convainc, à l’exception du tic des bouches croches ; celles-ci passent mieux dans Nathalie que dans une tragédie. Les décors, à Amsterdam, Bruxelles, Paris ou Londres sont agréables, particulièrement les dessins pleine page, dans des teintes de beige, qui accueillent le lecteur dans chacun des chapitres. Enfin, chapeau pour les évocations des toiles du peintre.
La chronique convaincante des jeunes années d'un homme en apparence dénué de talent.