G
B Tran, l’auteur, n’a aucune envie d’accompagner ses parents au Vietnam, leur pays d’origine, qu’ils ont fui en 1975, alors que les États-Unis, après la France, se retiraient du conflit, laissant le pays aux mains du Vietcong. Affalé sur un canapé, en train de taquiner un joystick dans une banlieue résidentielle étasunienne, il est certain que le jeune homme a mieux à faire.
Cela, le lecteur ne l’apprend que sur le tard, quand ce récit fragmenté commence à prendre sens. Entrer dans ce livre n’est pas chose aisée, ce qui est donné à lire se révélant de prime abord plutôt abscons, comme disloqué, à l’instar de la famille de l’auteur, éparpillée par la guerre. Les tranches de vie de chacun des membres, divulguées par bribes, ont leurs propres codes graphiques, leurs propres palettes chromatiques, et encore, car rien n’est simple, et c’est pourtant une évidence, les uns et les autres se croisent dans les méandres de cet album. Autant le dire, l'option retenue par l'auteur en matière de composition désarçonne. Dans ce fracas de destinées, la chronologie n’est pas de mise : telle séquence appelle telle autre, et ainsi de suite. Mais à la manière d’un puzzle, quand les pièces commencent à trouver leur place les unes par rapport aux autres, le tableau prend forme.
Vient alors le plaisir d’accompagner l’auteur dans la découverte et la compréhension de ce qui a précédé sa naissance, préalable indispensable à l’explication de son présent. Il en convient : « Construire une seule histoire à partir d’une mémoire multiple est une entreprise qui est par définition vouée à l’imperfection ». Oui ce n’est pas parfait, c’est même fouillis, avec au final une histoire qui semble encore incomplète ; des pièces du puzzle se sont perdues dans les tombes de ceux qui les ont vécues. Si cette plongée dans le passé des siens n’a pas d’effet foudroyant sur GB Tran, elle lui permet de renouer avec ses racines. Elle lui offre en retour les éléments nécessaires pour comprendre ses parents, et toute la complexité de « repartir à zéro avec des règles et des coutumes étrangères tout en essayant de préserver les siennes ».
Quand elle s’emballe, l’Histoire avec un grand « H » fait souvent peu de cas de l’individu. Ce dernier, balayé par les événements, est bien souvent voué à l’oubli. Axé sur le factuel pour ce qui est du fond, GB Tran effectue avec Vietnamerica un devoir de mémoire familial qui tire sa personnalité d’une construction osée, mais pertinente dans son contexte, et de sa forme, variée, avec notamment une mise en couleur qui n’est pas sans faire écho au travail de Séra (porté lui sur la mémoire du Cambodge : L’eau et la terre et Lendemains de cendres).