A
vec une mauvaise foi magnifique car pleine de facétie, le dessinateur de presse américain Edward Sorel exécute une biographie au vitriol d'une dizaine d'écrivains illustres des XIXe et XXe siècles : Léon Tolstoï, Marcel Proust, Carl Jung, Jean-Paul Sartre, Bertolt Brecht et différents auteurs anglophones. Au vitriol, car ses intentions sont loin d'être bienveillantes. Au lieu de rappeler le génie des uns et des autres, Sorel ne retient de ces sommités que leurs pires traits de caractère, que leurs actions les moins valorisantes. Et tout cela est illustré par des dessins féroces et moqueurs, dans un style spontané d'une grande force comique.
Alors certes, toutes les anecdotes citées sont parfaitement authentiques, mais la démarche ressemble tout de même à celle des paparazzi de la presse à scandale : il s'agit bel et bien d'aller fouiller dans les poubelles des célébrités pour y trouver quelques pièces à conviction. On imagine Sorel en train de lire des dizaines de biographies pour préparer son livre, regrettant la droiture de tel auteur qu'il aurait bien voulu se payer, ou au contraire exultant en découvrant des dérèglements moraux ou sentimentaux pouvant servir son dessein...
S'il est évident qu'on ne pourra pas s'en tenir à la seule lecture de cet ouvrage pour se faire une idée de la vie des écrivains concernés (ce n'est pas le but !), ce livre insolite et désopilant montre s'il en était besoin que le bel esprit et le mauvais esprit peuvent coexister. Au-delà, Vies littéraires démontre avec efficacité qu'il faut dissocier l'œuvre et l'artiste : un romancier formidable peut aussi être un salaud, un con, un despote familial, un allumé, un mégalomane, etc. Ce qui ne diminue en rien l'intérêt de ses œuvres.