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ahé est né au Gabon, dans le village de Bitam. Son père avait plus de 10 femmes, et c'est l'arrivée d'une nouvelle épouse qui décida sa mère à quitter ce mari si ce n'est volage, tout du moins gourmand. Il grandit donc au milieu des femmes, sa mère d'abord, puis ses soeurs. Mais le garçonnet n'en fait qu'à sa tête et, avec les moyens du bord qui sont ceux de tous les enfants africains, s'amuse comme un petit fou. Et ce n'est pas un voyage "rafraîchissant" en France qui entamera son enthousiasme et sa joie de vivre, même s'il remettra au point quelques concepts, tout particulièrement éducatifs.
Visiblement, Pierre Paquet a eu un coup de foudre pour Pahé. Coup de foudre émotionnel tout d'abord, puisque les deux hommes s'appellent "frère", même s'ils ajoutent malicieusement "pas même père, pas même mère", distinction importante lorsque, comme l'auteur, on vient d'un pays et d'une famille où la polygamie est la norme. Coup de foudre éditorial ensuite, puisqu'il a commandé à un inconnu une série en trois tomes racontant rien moins que sa vie, en Afrique et en France. Et elle n'est pas ordinaire, cette vie qui cherche à prendre le meilleur de deux cultures en laissant sur le côté le maximum de préjugés... Pahé est spontané, plein de vie, ce qui aide à pardonner certaines habitudes orthographiques désagréables au début, les "cékoi", "cépa" et autres "fopa", ou même les grossieretés qui émaillent l'album et qui ne manquent pas de faire tiquer les puristes. Cependant, une fois le livre refermé, on ne se souvient que de sa fraîcheur et de sa différence, loin des poncifs sur l'Afrique Noire entretenus par un néocolonialisme toujours latent sous nos latitudes.
Le dessin est lui aussi spontané, peu recherché. On lui retrouvera des influences chez les dessinateurs qui sévissaient dans les magazines Disney d'il y a une dizaine d'années, ou dans le dessin de presse typé Fluide Glacial. Couleurs enfantines, trait rapide qui traduit un gag plus qu'il ne cherche à provoquer des sentiments chez le lecteur, les planches de Pahé visent à l'efficacité plus qu'à l'esthétisme, et dans ce domaine réussissent parfaitement leur pari. On rit, on sourit et, parfois, on s'indigne un peu devant les manigances de ces gamins, ou devant la veulerie toujours renouvelée des adultes.
Un album qui s'apprécie à la relecture, tant la première vision s'embarasse de considérations déplacées sur "qu'est-ce qu'une bande dessinée" et "pourquoi faire encore un album vite fait mal fait". C'est une fois sorti du carcan de nos opinions bien posées et habituées au bon vieux franco-belge que l'on peut apprécier cet album, pas tout à fait jeune public, pas tout à fait adulte. Peut-être pour les adultes qui sont restés jeunes, en fait...