V
ertige. Une star hollywoodienne entre déprime et paradis artificiels prête à s’élancer du plongeoir surplombant la piscine de sa villa. Adélia. Une acrobate d’un modeste cirque sud-américain prête à s’élancer du trapèze surplombant la piste aux étoiles. L’une va chuter, frôler la noyade, sombrer dans le coma, être sauvée in extremis par son fidèle imprésario. L’autre va sauter, bondir, virevolter, pour atterrir au milieu du public. Et s’esquiver. Les fils de ces deux histoires ne vont cesser de se croiser : la course éperdue d’Adélia, échappant à la présence étouffante de son maître et patron, et la lutte de l'entourage de Vertige pour guérir celle-ci.
Les résonances entre les deux récits sont renforcées par un procédé narratif efficacement mis en œuvre : l’enchainement des séquences est marqué par la continuité de l’action et des dialogues qui, bien souvent, prennent un double sens quand le lecteur passe de l'une à l’autre. Adélia, fuyant son monsieur Loyal, se retrouve dans la jungle amazonienne, où elle est rejointe en rêve par une Vertige toujours plongée dans le coma, telle un ange gardien envers la trapéziste qu’elle va guider vers le Nord jusqu’à la frontière américano-mexicaine. Entre-temps, des révélations sur le passé de la voltigeuse éclairent d’un jour nouveau son destin et son lien avec le cirque.
Écrit sur mesure pour Hélène Georges et son univers pictural fantaisiste et coloré, les partis pris de la mise en images sont particulièrement réussis. Deux tonalités dominent l’album : une déclinaison de rouge, orangé, rose, pourpre et carmin, pour raconter l’histoire d’Adélia, et une dominante bleutée, livide, grise et olivâtre, pour celle de Vertige. Autre résolution marquante, des vignettes pleines pages, parfois, mais surtout nombre de doubles pages qui impriment un rythme marqué au récit, en imposant des pauses contemplatives propices à l’immersion dans l’histoire. Les plus réussies étant indéniablement les - nombreuses – scènes dans la jungle, d’où le crayon de la dessinatrice fait jaillir une vie luxuriante, un foisonnement végétal qui envahit les planches. Enfin, autre caractère notable servant le scénario, la similitude de trait entre l’auteure et la peinture naïve d’Amérique Latine, cette même torsion des perspectives, ces mêmes couleurs en aplats, ces points de fuites multiples…
Maitrisé dans sa construction, même si une certaine baisse de rythme peut se fait sentir dans le dernier quart, cet ouvrage est tout aussi séduisant par sa conception graphique. La conclusion, qui voit les deux trames se réunir, ne manque pas de confronter le lecteur au vertige des sens possibles, tant la pirouette finale - logique, avec une acrobate comme héroïne - peut s’interpréter de différentes manières, chaque interprétation ouvrant elle-même de nouvelles significations. Un fort joli album, pour un conte moderne entre fantaisie et gravité, et un beau voyage entre Brésil et Californie. Voilà encore un recueil singulier à mettre au crédit de la collection kstr.