L
ars et Rachel mènent une vie paisible de retraités dans la banlieue de Los Angeles. Alors que leur existence semble en l’état depuis des années, des incidents caractéristiques de la grande vieillesse surviennent. Perte de l’indépendance qui menace, aucune envie de se confronter à la réalité médicale, et encore moins de quitter son chez-soi, autant de raisons qui incitent à taire, minimiser, ou encore ignorer ces symptômes d’une décrépitude qui s’accélère. Laura, la fille de Lars qui leur rend régulièrement visite, perçoit assez rapidement ces changements, cette évolution. Elle va les accompagner vers la sortie.
Sujet qui n’a rien de réjouissant, il est ici traité avec le souci permanent de restituer au lecteur quelque chose de très réel, ce qui le différencie clairement d’autres albums récents ayant, eux aussi, abordé le troisième âge (Les petits ruisseaux, Rides), mais pour lesquels les auteurs ont opté pour une certaine légèreté exutoire. Cette absence d’évitement provoque une confrontation avec soi : soi et ses parents, et, surtout, soi et sa propre déliquescence à venir, maladie honteuse dans une société en proie à un jeunisme ambiant.
Dans les moindres détails, sans forcer le trait, mais sans complaisance non plus, Joyce Farmer, auteure américaine, va, par le prisme de cet accompagnement, narrer cette fin de vie. Quand la grande vieillesse s’installe, et que, dans le cas présent, et comme pour beaucoup de personnes, les moyens sont assez limités, l’intérieur suit l’humain dans sa chute. Il fait sombre, tout est poussiéreux, voire poisseux, des odeurs s’installent et les souvenirs s’entassent alors que le présent n’est déjà plus qu’un quotidien sans hier ni demain. Cela parce que les sens ne permettent plus de percevoir ce glissement essentiellement dû à des capacités amoindries, ou tout du moins s’en accommodent bien malgré eux. La talentueuse dessinatrice va au bout de sa démarche et montre la dégénérescence des corps avec une justesse de trait troublante. Par une technique qui lui est propre - Joyce Farmer opère au feutre fin -, elle obtient un rendu très proche, dans l’esprit, du travail du peintre britannique Lucian Freud (« Je veux que la peinture soit chair »). Le résultat est éloquent : elle donne à voir de très près la décrépitude. Tout cela n’est guère réjouissant, mais Laura a une attitude très saine - presque trop - qui fait qu’elle soutient au moins autant ses parents dans leur passage de l’autre côté, que le lecteur dans cette rencontre avec son inéluctable avenir.
Inéluctable avenir qu’il peut être bon d’éclairer avant d’y être projeté, que ce soit pour les siens ou pour soi-même. Si ce que montre Vers la sortie n’est pas nécessairement très beau à voir, ce qu’il contient l’est. C’est une bande dessinée d’une justesse rare sur ce thème.
Les avis
stephaaanie
Le 19/09/2013 à 17:08:03
Il fallait oser le raconter. Le sujet de la vieillesse n'est pas des plus réjouissant ; on n'a pas vraiment envie de se pencher dessus... on sait de toute façon. Pourtant l'auteure a réussi à relater avec sobriété et sans voyeurisme, malgré certaines scènes qui pourraient paraître gênantes alors qu'elles sont touchantes de vérité, la sortie inéluctable de ses parents de notre monde. De la retraite paisible, aux premiers signes de fatigue, puis aux incidents ayant davantage d'impact, les voilà qu'ils glissent tout doucement vers la dépendance physique surtout, jusqu'à la mort ; cette mort qui nous attend tous, à une heure ou une autre. Pour raconter cette histoire, l'auteure a suivi et accompagné ses parents pendant 4 ans ; un accompagnement digne et admirable, où on s'occupe encore de ses anciens comme un devoir d'un part c'est vrai (c'est le coté le plus lourd au quotidien) mais aussi par amour. Ces derniers liens aussi douloureux soient-ils permettent aussi de se quitter en douceur.
Un livre audacieux et juste. Les dessins témoignent d'un grand travail mais sont cependant fatigants à la longue ; le N&B aux traits serrés est lourd à regarder. Quant au titre il est juste Parfait !
Enigmatik
Le 16/09/2011 à 10:00:26
Merci à la chronique, elle a attiré mon attention sur cet album qui serait sans doute passé inapperçu.
L'auteure s'attache à raconter les dernières années de ses parents, quand le corps, l'esprit finissent par nous trahir, l'an avant l'autre, l'un entrainant souvent l'autre.
Une histoire qui ne peut nous laisser indifférents, surtout lorsque nous meme commençons à accuser le poids des ages, lorsque plusieurs palliers ont été passés. Forcément ça fait réfléchir.
Le dessin est à l'image de l'histoire, c'est pas tres gai, l'auteur n'hésitant pas à nous montrer la dégradation physique de ses parents, on voit la chair à nue, on est pas là pour faire dans le joli, j'ai beaucoup apprécié .
Une chose cependant m'a dérangé tout au long de cette lecture. le ryhme, c'est un peu haché par moment, on multiplie les "quelques jours plus tard", "le lendemain", "deux semaines plus tard", "quelques mois plus tard", "le temps passe".
Personnellement je ne pense pas qu'il etait nécessaire de situer systématiquement l'action dans le temps.
Rien de dramatique, ça ne nuit pas à l'histoire, et ça permet d'appuyer l'idée que si on dégénère petit à petit à la fin ça peut aller tres vite, meme si pour les proches ce tres vite peut paraitre interminable.
une belle histoire avec un titre bien trouvé.
J'en conseille la lecture