Le 30/09/2024 à 02:28:48
Depuis le célèbre et classique « Calamity Jane » de la série Lucky Luke, album des immenses Morris et Goscinny sorti en 1966, on ne compte plus les bandes dessinées humoristiques ou biographiques que cette figure légendaire du Far-West a inspirés. Particulièrement ces dernières années, les albums historiques sur la vie de Martha Jane Cannary, dite Calamity Jane, ont foisonné. Revenir sur le personnage, dans le cadre d’une collection abordant les événements et les figures légendaires de l’Ouest américain de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, était donc un défi particulièrement difficile à relever. Les autrices Marie Bardiaux-Vaïente (au scénario), et Gaelle Hersent (au dessin et couleurs) ont réussi ce pari improbable en concentrant leur narration sur les quatre années qu’a vécues Jane Cannary à Deadwood, une petite ville minière sortie de nulle part, en territoire du Dakota. Soit de 1876 à 1880. Jane était alors à la moitié de sa vie relativement courte (elle mourut d’une pneumonie en 1903 à l’âge de 51 ans), et profita de ce lieu fixe pour construire sa légende en racontant ses exploits passés, réels sur le fond mais extrapolés sur la forme, à l’imprimeur local qui en fit des feuilletons sur fascicules au succès grandissant. L’avantage de ce choix narratif c’est qu’historiquement la vie de Jane durant ces quatre années est parfaitement tracée, tandis que tout ce qui entoure ce point central est demeuré flou, invérifiable, ou alors tient à des éléments trop disparates et hasardeux à relier entre eux. Les autrices se cantonnent donc à l’authentique, mais habillé d’un certain lyrisme, et c’est ce qui donne toute la force à cet ouvrage. Le dossier historique présenté en fin d’album, très bien conçu, appuie encore davantage cette démarche. Pourtant cela ne va pas sans quelques aléas. Si les flash-backs sur l’enfance et l’adolescence de Jane sont bien amenés, le récit se termine lorsque Jane quitte Deadwood, et toute la suite comme la fin de sa vie passe ainsi à la trappe. Mais c’est bien la seule et relative critique que j’émettrai, car les autrices nous font comprendre que c’est le personnage en lui-même, avec sa personnalité singulière, qui fait tout l’intérêt de la biographie : une femme libre et atypique dans un monde d’hommes, un monde violent qu’elle affronte avec audace et témérité tout en se détruisant par l’alcool et un irrésistible penchant pour l’errance sans but et sans espoir. Car Jane portera jusqu’à son dernier jour le remord d’un drame familial auquel elle ne put faire face alors qu’elle était encore adolescente. Le récit nous fait ressentir de la compassion pour cette femme en souffrance qui connut malgré tout quelques moments de grâce et que la célébrité ne sauva pas.Le 23/09/2024 à 17:00:11
Lorsque l’on ouvre cet album promettant la « véritable histoire du Far -west », on s’attend à une biographie détaillée et chronologique de Martha Jane Cannary, figure majeure dont il est difficile de décrypter la part de réel et de légende. En faisant débuter son récit en 1876, les deux autrices ont un tout autre projet : c’est une « Calimity Jane » déjà bien installée qui nous est présentée, naviguant entre l’héroïque et le crépusculaire. Arrivée à Deadwood en 1876 – elle est alors à la moitié de sa vie –, elle y roule des mécaniques, lutte pour sa place et raconte sa légende. Celle qui avait produit de son vivant un prospectus fantasmatique sur ses exploits raconte est présentée à la fois comme respectée et pas vraiment crue, détestée par certains, mais faisant partie du folklore. Toujours, malgré tout d’abord du côté des filles de mauvaises vies et des moins que rien. Le récit s’entrecoupe parfois de séquence au style de vieux comics de gare, où soudain la légende revient, bien plus proche de ce qu’on imagine à propos de cette figure dont on sait si peu. Un jeu de style où Gaëlle Hersent, dont le style est d’un réalisme classique, s’avère habile, capable de rupture nette entre les univers et rendant un bel hommage aux Dime novels, ces romans à quelques sous où les mythes se construisent. L’album navigue entre une Martha alcoolique et mythomane et le visage d’une femme qui a dû se construire dans la douleur d’un monde hostile à son genre, en ayant toujours su in fine de quel côté se ranger. Si elle gêne la bonne société, ce n’est pas tant pour sa possible grossièreté que parce qu’elle ose défier un monde d’hommes – en se déguisant pour aller dans l’armée, en maniant les armes et en allant dans les saloons. Dans les jeux narratifs, qui dessinent aussi de belles loyautés, on découvre une femme droite, qui défend l’humain dans sa globalité – allant jusqu’aux noirs et aux Amérindiens, pas si communs à l’époque –, assurément féministe même elle n’utilisait pas ce terme, tout en étant prête à sauver celles et ceux qui l’ont rejeté. Si cela n’en fait pas une bonne chrétienne (quoique…), c’est assurément une figure subtile et profonde, habilement racontée, dans un ouvrage qui réussit à remporter le pari du récit historique sans trop de lourdeur pédagogique. Le dossier historique qui le complète, signé par l’historien spécialiste de l’histoire des États-Unis Farid Ameur, vient d’ailleurs bien en dialogue avec la bande dessinée, éclairant des passages obscurs, venant confronter les récits d’une femme qui, quels que soient les mensonges, méritait clairement d’être une légende.BDGest 2014 - Tous droits réservés