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i]« - Qui ça ? Le cousin Gilbert ? Oui, non, peut-être… »
« - Mais oui, le fils de l'oncle de papa. Voyons-là, ça ne te dis vraiment rien ? »
« - Pfff. Bon, quoi alors avec ce Gilbert ? »
« - Il s’est pendu l’autre jour, suicide. »
« - Ah… C’est triste. »
« - Il était huissier. »
« ... »
Rien à faire, même en se forçant, il y a des métiers qui ne génèrent aucune sympathie. Huissier de justice fait partie de ceux-là. Et ce n’est pas parce qu’un membre de la famille occupe un tel poste que ça y change quelque chose. De plus, ce parent, Dav ne l’a jamais connu. Pourtant, étant né le même jour que son père, il a été très proche de celui-ci pendant toute leurs premières années. Ces liens ont disparu avec l’arrivée dans l’âge adulte. C’est souvent le cas à la campagne. Pour trouver du travail, il faut quitter le village, aller en ville, s’éloigner des siens et de ses racines. Et puis, il était talbin ! Celui qui fait des saisies ou expulse les pauvres gens pour trois sous impayés. Tout ça ne facilite pas l’empathie ni l'envie de connaître.
Le réel sans fard et les angles morts de la société, c’est un peu sa spécialité à Dav Guédin. Quand il apprend l’existence et le trépas tragique de ce cousin oublié, ça fait tilt dans son esprit. Mieux encore, ce dernier a rédigé ses mémoires et sa mère possède une copie de ces écrits. Après une lecture approfondie, pas de doute, le scénariste a là le sujet pour son prochain album. Le cadre : la France rurale, l'exode pour bosser et la modernité héritée des Trente glorieuses qui s’effiloche. Le personnage principal : un gars pas trop gâté par la nature et doté d'un bon fond, artiste même à ses heures, qui va passer la majeure partie de sa vie à faire un des pires boulots possibles et côtoyer les drames et la misère la plus sordide. Oui, il y a de quoi raconter et, qui sait, être surpris. Les apparences peuvent être trompeuses.
Approche directe, dessins à la limite du grotesque sans jamais tomber dans le gratuit, la technique de l’auteur de Confessions d’un puceau est au point. Alternant retours en arrière sur l’enfance de son héros et ses années professionnelles, il dresse une fresque saisissante d’un homme simple et déterminé à mener son petit bonhomme de chemin le plus dignement possible. Ce portrait est doublé d’une description à peine voilée de toutes les pressions et liens que l’individu subit ou entretient avec son environnement social.
Le mélange d’avant et d’après, de joie et de malheur saute à la gorge dès la première page. Les compositions charbonneuses et les scènes choc ne laissent aucun répit. Comme à son habitude, le dessinateur de Bray Dunes 99 tape juste et ne s’encombre pas de fioriture. Les émotions sont brutes, les images parlent d’elles-mêmes et la vérité dégouline dans chaque case.
Même si la trajectoire de ce Gilbert s’avère finalement très anecdotique – une âme parmi des millions d’autres -, son récit est néanmoins important. Pour l’artiste et ses proches en premier lieu, mais aussi et surtout, comme illustration la plus sincère de la richesse de la nature humaine et d’un certain espoir. Et puis, il y a la manière, Guédin impose sa flamboyance noire anthracite et fait ressortir impitoyablement les petits détails, accrocs ou défauts qui charpentent toutes les existences.
Du vrai, du dans ta gueule, du qui tache, Une vie d’huissier n’est pas là pour rassurer ou rendre acceptable les choses. Belle ou laide, c’est comme ça, la réalité. Il faut juste faire de son mieux avec les cartes en main et ne pas oublier que la partie est unique.
Les avis
DCJNM
Le 28/04/2024 à 19:04:40
Le cousin de mon père était huissier, je ne l’ai jamais connu mais lorsque ma mère m’a appris sa mort singulière et les nombreuses notes qu’il avait laissées sur sa vie, je m’y suis intéressé au point d’en faire un album de BD retraçant son histoire. C’est ainsi que Dav GUEDIN présente son sujet, il réussit à nous faire entrer dans la peau du personnage à travers un dessin noir et proche du style de l’underground américain, bienvenu, notamment pour évoquer les évènements les plus sordides. Il faut dire que la vie de cet huissier n’est pas à proprement parler très gaie, même son enfance plutôt rude dans la campagne normande a de quoi nous tirer une larme. Il faut saluer la narration sans parti pris, ni empathie particulière, une vie racontée sans fioriture marquée par les nombreuses expulsions signifiées, et qui ne fait pas vraiment envie. On est assez proche aussi de l’atmosphère du roman noir qui nous plonge dans une réalité sociale faite surtout de malheurs et d’argent qui manque cruellement. A ne pas lire, si on est soi-même fortement déprimé …
Dédicace lors du salon « Le livre à Metz » 2024.
Erik67
Le 28/04/2022 à 08:00:13
Une vie d'huissier n'est pas forcément une vie facile entre saisies et expulsions. Il faut le choisir de réclamer de l'argent à de pauvres gens qui ne peuvent plus payer leur loyer dans une société de crise.
Il y a des situations d'extrême violence où l'huissier de justice qui ne fait que son travail est violenté par des gens désespérés. Il est souvent accompagné par un commissaire et un serrurier mais cela ne suffit pas dans certains cas.
L'auteur nous raconte une situation née de la mort d'un cousin de son père qui s'est pendu alors qu'il était huissier de justice. Il a alors tenté d'imaginer sa vie qui a commencé assez modestement. Après une drôle d'enfance, son métier n'a rien arrangé bien au contraire.
Nous verrons tout le long de la BD une alternance entre les scènes de l'enfance et la mise en situation de la profession d'huissier.
Le dessin en noir et blanc est assez graveleux avec un trait épais ce qui concourt à une ambiance assez underground. A vrai dire, je n'aime pas trop.
Cette lecture a été sordide au point de se dire que décidément, une vie d'huissier n'est pas ce que je pourrais qualifier d'enrichissant. Bien au contraire, à force de côtoyer toute la misère humaine, on en perd ses valeurs.