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out le monde connaît l’histoire de ce petit groupe qui a débuté en répétant dans le garage du bassiste avant de péniblement faire quelques concerts dissonants sur des scènes miteuses de leur région. Pas encore totalement au point, mais déjà avec un son original, ils ont persévéré. De galère en plans foireux, ils ont fini par être découvert par un producteur visionnaire. Devenu stars, ils sont maintenant riches et célèbres. Ce n’est absolument pas de ces artistes dont parlent Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog dans Underground – Rockers maudits & Grandes prêtresses du son.
Loin des hauteurs du Top 50 et des paillettes, le copieux ouvrage est consacré à un autre type de créateur : les visionnaires venus trop tôt (ou trop tard), les compositeurs improbables et, plus généralement, de personnalités hors du commun talentueuses auxquelles le sort n’a pas souri. Souvent peu connus, ils se contentent de carrières modestes et d’un public limité, mais fidèle. Parfois, les hasards des changements de mode font qu’ils atteignent une certaine reconnaissance, voire le succès. Certains en profitent pour prendre leur revanche, tandis que d’autres préfèrent, par peur ou refus du système, rester dans l’anonymat. Toujours est-il, quoique peu visibles, ces troubadours d’un autre type existent bel et bien. Leurs disques, aussi étranges ou discordants qu’ils peuvent être, font partie du grand tissu culturel et sont la preuve que la création vient sous toutes les formes.
Le recueil propose une sélection de trente-six de ces musiciens décalés que le scénariste détaille sous la forme de mini-biopics synthétiques et percutants. Deux-trois détails biographiques révélateurs, quelques titres importants et les inévitables anecdotes « wtf » (avec des clients comme Sun Ra, Brigitte Fontaine ou Moondog, ce n’est pas ça qui manque) rendent ces vignettes attrayantes et pétillantes. De plus, dans son choix, Le Gouëfflec a opté pour la diversité : rock’n’roll évidemment, mais aussi jazz, classique, chanson française, électro et expérimental, il y en a réellement pour tous les goûts. L’ensemble est illustré en toute liberté par Nicolas Moog. Le dessinateur profite de la variété de ces profils pour changer constamment et intelligemment sa mise en page suivant le cas ou les situations. Celle-ci est largement pourvue en ré-interprétations de pochettes de disques ou de photos iconiques que les amateurs se feront certainement un plaisir de reconnaître.
Album dans l’air du temps qui combine un saupoudrage pressé de connaissances diverses à des références plus ou moins pointues (les présences de Boris Vian ou de Patti Smith au sommaire peuvent étonner), Underground – Rockers maudits & Grandes prêtresses du son est une lecture hautement sympathique qui devrait réjouir les bédéphiles mélomanes et autres aventuriers du bizarre.