I
ssu du roman noir d’Annie Barrière, Tueuse fait, par bien des aspects, écho à la mécanique du Tueur (le) de Jacamon et Matz. Cette femme dont le nom n’est pas prononcé une fois dans l’album exécute avec froideur les contrats définis par son commanditaire ; avec cette même tendance à laisser dériver son esprit dans des commentaires teintés d’un certain nihilisme. Solitaire, comme une évidence, elle entretient des rapports centrés sur sa personne avec l’alcool et le sexe, et aime se délasser dans la mer, se perdre en écoutant les Variations Golberg de J.S. Bach, œuvre intime dans l’absolu. Les seules traces de relations durables dans son entourage se résument à Léa, sa chatte, et à Zan, une prostituée qui ne parle pas un mot de français - excepté le minimum requis sur le plan professionnel. Un grain de sable va venir enrayer cette « paisible » existence.
Le trait noir, épais et incertain, de Damien May, nouveau venu dans la bande dessinée, bluffe par sa maîtrise. Proche de celui de Baudoin, notamment dans son aspect effleuré qui donne à la gestuelle un caractère très esthétique sans en avoir l’air et des poses langoureuses à souhait. C’est aussi vrai dans la représentation qu’il propose de la ville - Marseille se substituant à Nice dans le cas présent -, d’où il parvient à extraire une certaine beauté du glauque, et de la mer, propice à exprimer le mouvement. Les plans rapprochés sur les visages féminins mettent en évidence des lèvres pulpeuses et des yeux grands ouverts qui font, eux, penser à la touche de Vivès, mais en version noir et blanc. Une certaine sensualité s’exhale de ce dessin, sans pour autant verser dans une quelconque vulgarité. Pour autant, Damien May parvient à imposer son style au milieu de ces influences - avérées ou non -, notamment dans une expression plus anguleuse des formes qui convient bien à l’esprit de cet album qui n’est pas que « Luxe, calme et volupté ». Enfin, il excelle dans la gestion de l’espace : jouant dans ses cases avec le cadrage, la profondeur et l’éclairage, il parvient à rendre une atmosphère faite d’extrêmes où se côtoient sordide et poésie, violence sourde et calme létal.
Le récit peine cependant à démarrer, se perdant un peu dans une mise en place un brin poussive qui aurait gagné à être condensée. De même, les considérations du personnage principal sont sans doute un peu surfaites, cédant parfois à l'inclinaison verbeuse. Il serait néanmoins dommage de s’arrêter à ça, tant le graphisme est remarquable, mais aussi parce qu’une fois que le grain de sable vient perturber la froide mécanique qui anime la tueuse, le scénario devient véritablement prenant. Les protagonistes gagnent alors en épaisseur, leur part d’ombre prenant le dessus sur le reste, laissant dès lors planer l’incertitude quant à l’issue de cette confrontation d’âmes perdues.
En dépit d'une mise en route hésitante, Tueuse est non seulement un très bon polar et, surtout, marque l’entrée en scène d’un dessinateur fort talentueux.
Les avis
Yovo
Le 16/02/2017 à 09:51:56
Une jeune et séduisante tueuse professionnelle exécute ses cibles sans le moindre état d’âme. Jusqu’à ce que ça devienne une affaire personnelle, jusqu’à ce que l’étau se resserre inévitablement sur elle…
L’auteur nous présente sa tueuse à l’instant T ; on ne saura rien de son parcours, ni son nom, ni pourquoi ni comment. En revanche, sa voix off nous entraine au cœur de son asocialité, de la valeur toute relative qu’elle accorde à sa propre existence et surtout, de la valeur zéro qu’elle accorde à l’ensemble de ses contemporains.
Cela crée une ambiance sombre et nonchalante pleine de sentences, de silence et d’anarchie.
Point discutable : le dessin de Damien May est certes efficace mais c’est un (quasi) plagiat d’Edmond Baudoin jusque dans ses effets de pinceaux façon fusain… Dommage qu’il n’ait pas trouvé son propre style.
"Tueuse" reste néanmoins un bon polar, noir et tenace.