A
yant bouclé il y a quelques années les aventures de Buddy Longway, Derib a eu l'envie de rentrer en Europe, dans sa Suisse natale plus particulièrement, pour Tu seras reine. Il n'est évidemment plus question d'orignaux, mais, sujet surprenant, de vaches ! Pas n'importe quel bovin non plus ! La race d'Hérens, petite bête courte sur pattes au caractère et à la résistance bien trempés, est élevée en Valais depuis des siècles. En plus de produire un des meilleurs laits du cheptel (et le fromage qui va avec), ces ruminants ont la particularité d'établir la hiérarchie du troupeau en se battant entre elles. Ces ébats, souvent spectaculaires, font l'objet de grands rassemblements organisés par les habitants de la région. Sans autres enjeux que l'honneur d'être le propriétaire de la Reine de l'année, ces joutes sont avant tout une occasion de réjouissances sociales pour les éleveurs ayant passé tout l'été isolés dans les alpages.
Pour raconter cette sympathique tradition, l'auteur de Yakari s'est senti obligé de « l'enrober » d'un récit social dans la veine de Jo et No limits. Malheureusement, cette chronique qui suit les pas de Camille, jeune adolescente un peu à la dérive, ne se révèle guère passionnante. La démarche du scénariste est assurément pavée de bonnes intentions, mais le ton très didactique, à la limite de la mièvrerie par moments, ne résonne guère en accord avec les cloches des bovidés. À l'heure où la BD documentaire a gagné des lettres de noblesses avec des titres tel que Les Ignorants d’Étienne Davodeau ou, dans un autre genre, les reportages monumentaux de Joe Sacco, force est de constater que cet opus à la narration forcée n'ose pas, ou bien trop peu, sortir d'un schéma dramatique conventionnel quelque peu dépassé.
Cette situation est regrettable car, au niveau graphique, Derib dépeint les Alpes valaisannes avec un brio remarquable. Le dessinateur démontre également que les vaches laitières possèdent autant de grâce et de puissance que la faune sauvage d'Amérique du Nord ! Sans démériter dans les passages urbains, les quelques grandes illustrations dispersées dans l'album indiquent bien pourquoi le créateur de Pythagore s'est lancé dans ce projet : montrer ce coin de pays à travers le regard de son enfance.
Album mi-figue mi-raisin, Tu seras reine est à réserver en premier lieu aux fanatiques de Derib ainsi qu'aux amateurs d'agriculture de montagne.