Le 22/06/2024 à 17:24:48
Aude a vingt-deux ans, fait des études de philo, vit avec Etienne. Que dire d'autre ? Pas grand-chose, tant il est vrai que son existence, morne et sans relief, bien rangée, reste confinée au carcan imposé par une société bien-pensante. Un jour, pourtant, tout bascule : elle rencontre Corentin, un garçon de neuf ans qu’elle devra garder trois fois par semaine pour gagner un peu d’argent de poche. Dès le premier contact, l’enfant paraît étrange, à la fois renfermé sur lui-même et fascinant par sa faculté à en imposer aux autres, par son caractère déjà bien trempé. De fil en aiguille, Aude et Corentin vont se rapprocher l’un de l’autre, flirtant avec la morale, avec ce qui est juste, tout en sachant que les élans de la passion, malgré les subterfuges, finissent souvent par l’emporter. Le roman de Bénédicte Heim, ici adapté par Edmond Baudoin, aborde ce qui demeure sans doute l’un des plus grands tabous de la société actuelle, soit l’amour et l’attirance physique entre un adulte et un enfant. Ce sujet, si délicat, est traité avec talent et a pour mérite de confronter le lecteur à ses propres certitudes. L’histoire d’Aude entraîne dans son sillage nombre de questions sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, sur les limites qui peuvent ou ne peuvent pas être repoussées. Bien sûr, il n’est pas question dans ce livre d’enlèvement ou de séquestration, ni de la moindre violence, si ce n’est le tourment infligé aux personnages du fait même de cette relation hors normes qui s’installe progressivement et dont les prémices, déjà, sont à même de provoquer des haut-le-cœur. Si la pilule passe, et si le questionnement porte ses fruits amers, c’est à l’origine grâce au texte de l’auteure, qui développe un style échevelé et un rythme un peu fou, au diapason des sentiments qui affluent dans l’esprit des protagonistes et battent en brèche leur existence préalable. Baudoin réalise lui aussi un travail remarquable. Intelligemment, il préserve le texte de départ tout en le réécrivant lui-même sur ses planches, dans un mélange de calligraphie et de caractères d’imprimerie, de ratures qui témoignent d’un empressement à l’écriture et soulignent avec force les emportements du narrateur devant un récit si poignant. Le dessin en lui-même est admirable, à la fois doux et puissant, esquissant une réalité qu’à plusieurs reprises, on serait tenté de recouvrir d’un voile pudique. Dérangeant, mais d’une beauté par instants envoûtante, ce livre n’est pas d’une lecture aisée, tant il contraint le lecteur à se poser des questions qu’il préférerait ne pas soulever. Entre malaise face à une impensable réalité et empathie pour des personnages amoureux, emportés par une histoire plus forte qu’eux, il est difficile de se positionner, preuve s’il en est que les auteurs, par un savant dosage d’émotions, ont réussi leur coup.BDGest 2014 - Tous droits réservés