Résumé: TSAV 8 est le nouveau roman graphique du dessinateur de Ferme 54 (Sélection Officielle Angoulême 2011). Dans cet ouvrage autobiographique, Gilad Seliktar aborde un aspect particulier de l’armée israélienne : tous les Israéliens ayant fait leur service militaire (soit la quasi-totalité de la population adulte juive) sont obligatoirement réservistes jusqu’à l’âge de 40 ans, ce qui signifie qu’ils doivent effectuer chaque année une période de réserve d’un mois et qu’ils sont toujours mobilisables en cas de conflit.
En novembre 2012, Gilad, reçoit un "Tsav 8", un ordre de mobilisation ; l’état d’urgence est décrété alors qu’une pluie de roquettes s’abat sur Israël et que l’armée prépare une intervention lourde dans la bande de Gaza, l’opération « Pilier de Défense ». Accompagné par un conducteur de bus, Gilad Seliktar est affecté à la distribution d’ordres de mobilisation à des réservistes à travers tout le pays. Une rencontre imprévue au cours de ce voyage lui remet en mémoire son propre service militaire - qu’il aurait préféré oublier - et notamment un incident avec un ancien compagnon d’armes qui s’était tatoué un dessin de Gilad sur le torse... Gilad Seliktar livre un récit personnel, parfois presque surréaliste et magnifiquement mis en images sur sa vie d’artiste en Israël, entre la survie, la guerre, et ses interrogations sur la création artistique.
G
ilad Seliktar livre avec Tsav 8 un album particulier à plus d’un titre. Le sujet, au départ, est la guerre en Israël. Pourtant, de celle-ci, on ne voit rien. Car si l’auteur, qui se met en scène, est impliqué, c’est pour distribuer des lettres de mobilisation. Tout au long du récit, il se retrouve donc à sillonner le pays à la recherche de réservistes appelés à faire leur devoir patriotique. Loin des bombes et des missiles, il ne perçoit du conflit qu’une atmosphère où chacun fait face à l’inconnu.
Pour lui, ce périple est aussi l’occasion de ressasser quelques souvenirs de son service militaire, notamment son absence totale de passion pour les faits d'armes et une relation de camaraderie singulière. Durant ses longues gardes, il dessine. Que faire d’autre quand les heures s’étirent et que le travail est si monotone ? Ses réflexions sur l’art sont traitées comme celles sur la guerre, c’est-à-dire de façon tout sauf frontale. Il laisse ainsi le silence s’installer dans les planches, avec de longues séquences contemplatives qui donnent à l'ouvrage un caractère unique. La douceur de la mise en couleurs ajoute à l’ensemble une forme subtile de mélancolie et se mêle à un trait parfois esquissé pour composer des vues superbes, tout en suggestion.
En fin de compte, Gilad Seliktar aura fourni peu de réponses. L’objet de l’album s’en trouve diffus, parfois totalement impalpable. Mais au fond, peu importe. L’art est dans la manière, dans ce ton que l’auteur parvient à trouver ; comme une stratégie de l’évitement qui fait qu’en parlant de lui, il offre un certain regard. Le résultat est fascinant.