Résumé: Dans l'imaginaire collectif occidental, Vladimir Poutine est un personnage sournois et complotant constamment pour détruire ses ennemis dans le monde entier. Mais comment un officier intermédiaire du KGB sans distinction est-il devenu l'un des dirigeants les plus puissants de l'histoire russe ? Dans quelle mesure sa posture de leader intraitable est-elle une performance calculée ? Dans Tsar par accident, Andrew S.
Weiss, un ancien expert russe de la Maison Blanche, et Brian Brown montrent dans un roman graphique captivant comment Poutine s'est présenté avec succès comme un cerveau politique rusé et hors du commun, et comment le reste du monde a interagi avec lui en l'estimant comme tel. Ils brisent tous ces mythes en révélant la vérité derrière la personnalité d'homme fort qu'il a passé sa carrière à cultiver.
C
ela fait plus de vingt ans que le nom de Vladimir Poutine est devenu indissociable de la Russie. Son profil d'ancien agent du KGB et de dirigeant à la légitimité démocratique discutable en fait un personnage à la frontière de la fiction. Cultivant une image virile, il inquiète autant par le pouvoir qu'il incarne que par la difficulté de comprendre ce qui l'anime. Andrew S Weiss est ancien conseiller de la Maison-Blanche, spécialiste de la Russie. Il a assisté à l'irrésistible (la résistible ?) ascension de ce fils d'ouvrier, sans panache, qui s'est imposé à la tête de l'une des plus grandes puissances nucléaires de la planète.
Cette bande dessinée revient sur son parcours, jalonné de hauts et de bas. Elle apporte un éclairage bienvenu sur l'histoire russe, permettant de mieux appréhender à quel point cet ancien agent du KGB incarne une continuité avec l'esprit tsariste. Du Protocole des Sages de Sion jusqu'aux fermes à trolls qui ont influencé plusieurs élections internationales, il s'agit d'une même stratégie de désinformation qui perdure. Il perpétue aussi une forme de pouvoir pyramidale, dominée par un chef tout-puissant, s'appuyant sur un groupe de proches profiteurs, régnant chacun sur une organisation où chaque maillon, quelle que soit sa place, reçoit sa part en échange de menus services. Cette structure où la richesse ruisselle se révèle par essence instable et il faut une main de fer pour éviter qu'elle ne tangue et s'effondre.
Prenant le temps d'expliquer les grands mécanismes à l'œuvre, l'auteur démontre à quel point Poutine est le produit d'une certaine idée de l'état, tout en dévoilant certaines circonstances surprenantes qui ont favorisé son accession au poste de président. Andrew S. Weiss expose aussi la défiance maladive de ce dernier envers l'Ouest et sa conviction qu'il existe un complot destiné à le faire tomber. Cette paranoïa s'accompagne d'un égo surdimensionné, s'attachant à construire une image de leader charismatique, jusqu'à la caricature.
La démonstration est, dans l'ensemble, très documentée, mais tend à minimiser les ingérences des USA lors des révolutions qui renversèrent des dirigeants favorables au maître de Moscou pour d'autres, plus proche de l'Europe et des Etats-Unis. Dans son souci de désacraliser son sujet, ce Tsar par accident réussit en effet à se montrer très instructif, même s'il nécessite parfois une pointe d'esprit critique. Graphiquement, Brian "Box" Brown opte pour un style qui privilégie la clarté et l'efficacité, à mille lieues du réalisme scolaire et raide d'une belle histoire de l'Oncle Paul. L'intention est louable, mais atteint ses limites quand les personnages deviennent difficilement identifiables. Si Trump possède une exposition capillaire qui le rend inimitable, les représentations de Bush, Obama ou Clinton ne sont pas ressemblantes du tout et il faut parfois déduire de qui il s'agit. Et, arrivé au terme du livre, la principale question reste sans réponse. Que cherche vraiment Poutine ?