Résumé: Ou comment Andreï Sakharov est devenu un militant anti-bombe nucléaire !
Andreï Sakharov grandit dans une famille de scientifiques qui échappe aux purges staliniennes. Fasciné très tôt par le rapport à l'infini, son génie est vite repéré par le Kremlin. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce cerveau brillant travaille au développement d'armes nucléaires pour la Russie communiste. Sa vie bascule quand, horrifié, il découvre la puissance de la bombe qui frappe Hiroshima en août 1945. Après cette démonstration, Staline n'a qu'un objectif : doter l'URSS de la bombe nucléaire ! Et sa volonté ne tolère aucune opposition. Andreï est envoyé dans une base scientifique secrète, avec pour unique mission de faire avancer la recherche avec ses collègues physiciens. Mais l'homme de science cauchemarde, trop conscient de l'objet monstrueux de ses travaux. Durant cette longue période de recherche, il est également témoin d'emprisonnements arbitraires et de sévices envers les dissidents. En 1953, le physicien prodige est à l'origine du premier essai concluant d'une bombe H. Lui qui voulait utiliser l'énergie nucléaire à des fins humanistes comprend que derrière « l'équilibre de la terreur » ou « la dissuasion nucléaire » se cache une tout autre réalité. S'il est désormais un héros pour « services rendus à la nation », plus les essais font des victimes innocentes et plus Andreï s'insurge. Succédant à Staline en pleine guerre froide, Khrouchtchev poursuit la même obsession. Et si Andreï pouvait mieux faire ? Et s'il était capable de créer la plus grosse bombe jamais vue, la « Tsar Bomba » ? Mais Andreï, accablé, révolté, ne peut plus se taire. Critiquant ouvertement la politique soviétique, il commence à devenir gênant pour les autorités...
Fabien Grolleau et Cyril Elophe nous offrent un roman graphique saisissant à travers le parcours d'Andreï Sakharov ! Le duo retrace le destin d'une des personnalités les plus marquantes du XXe siècle, père de la bombe à hydrogène soviétique, mais aussi fervent défenseur des droits de l'homme et prix Nobel de la paix en 1975. Un album documenté, dense et terriblement humaniste qui apporte une réflexion écologique et nous invite à composer avec l'infiniment petit pour mieux comprendre les lois de l'univers... Entre Histoire, poésie cosmique et biopic, une oeuvre riche à lire avant la fin du monde.
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Tsar Bomba était trois mille huit cents fois plus puissante que la bombe Little boy qui rasa la ville de Hiroshima… L’onde de choc fit trois fois le tour de la planète. »
En 1945, quand les États-Unis larguent leurs bombes sur Hiroshima et Nagasaki, le monde est terrifié. Staline ne cache pas sa jalousie et mobilise les moyens nécessaires pour doter son pays d’une arme de destruction massive. C’est dans ce contexte que le physicien Andreï Sakharov est recruté par un programme de recherche sur le nucléaire. Souhaitant mettre cette énergie au service du bien, il réalise que le but de l’entreprise est tout autre.
Fabien Grolleau a visiblement fait ses devoirs pour raconter la vie du héros, vue à travers le prisme de la guerre froide et de la course aux armements. Alors que la biographie se montre d’un format somme toute classique, l’écrivain a su capter l’essence du futur prix Nobel de la paix. Par petites touches, il expose la transformation de l’homme. Au premier abord aveuglé par sa soif de connaissance et par le statut social dont il jouit, il ouvre doucement ses horizons pour prendre la pleine mesure de la finalité des travaux auxquels il collabore. Bien que le livre ne soit pas un pamphlet écologiste ou antimilitariste, le lecteur lit entre les lignes le point de vue de l’auteur.
L’ouvrage, dans l’ensemble posé et réaliste, accueille trois micro-récits dépeignant les cauchemars du chercheur. Le ton se veut alors complètement différent. Ces escapades oniriques révèlent les tourments d’un scientifique déchiré entre sa volonté de comprendre et les risques pris par les apprentis sorciers. Cet audacieux recours à la fiction explique le passage du laboratoire à la dissidence.
Fils de la ligne claire, Cyril Élophe propose un dessin épuré évoquant par moments l’esthétique des affiches de propagande du Parti. Une austérité qui exprime avec éloquence le climat de terreur sévissant dans le pays. Les personnages, traités avec sobriété, rappellent jusqu’à un certain point ceux de Seth. Le jeu des acteurs se voulant austère, c’est avec subtilité que l’illustrateur anime ses comédiens : traits tirés, regard fuyant ou posture témoignant de leur accablement. La palette chromatique est à l’avenant ; elle apparaît essentiellement composée de tonalités terres, auquel s'ajoutent des rouges mettant en relief les explosions et autres éléments de violence.
Au début des années 1990, le monde a poussé un grand soupir de soulagement quand l’empire soviétique s’est écroulé. La nature ayant horreur du vide, à peine dix ans plus tard un nouvel empereur s’est imposé. Pas de chance, il aime beaucoup menacer le monde avec les joujoux nucléaires qu’Andreï Sakharov lui a bricolés.