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oigts croisés derrière la tête, bras écartés, affalés sur un sofa ou un fauteuil. Variante : manette de jeu ou canette en main ; un joint à l'occasion. Telles sont les postures favorites, naturelles, de Trip et Trash. Le petit gros aux grandes oreilles et le grand maigre à long nez glandent et causent. En un peu plus de deux cents strips de trois cases, ils multiplient les sentences à propos de leur capacité à ne rien faire, à fuir le travail, à essayer de faire faire à un autre ce qu'ils n'ont pas le courage de faire, de ce qui les entoure. Encore qu'ils ne se frottent guère au monde extérieur.
Il en résulte quelques dialogues ou monologues dignes de certaines brèves de comptoir, un peu plus rock'n'roll dans l'esprit peut-être. La surprise vient de ne pas trouver de déclarations foireuses à propos des filles et du sexe avant la moitié du recueil. Le sujet est finalement abordé à quelques rares reprises, ce qui peut paraître cohérent si l'on s'en tient au profil du duo : envisager une relation, c'est penser à quelqu'un d'autre que soi-même et très consommateur d'énergie. Le regret est éphémère car le traitement du thème se traduit par les passages les plus vulgaires, ton que l'auteur réussit à éviter avec tact le reste du temps. Notons que deux comparses font leur apparition sur le tard, Johny Merguez, le rocker qui joue dans les salles vides, et Clark, l'ex punk devenu diplomate et écrivain de bouquins bidons. De quoi varier un peu les sujets et les cibles, mais le résultat est quelque peu mitigé, donnant lieu aux vannes les plus convenues et, en tout cas, moins convaincantes que les échanges, ponctués de silences pour mieux préparer la réplique suivante, entre les deux experts fainéants.
Il n'en reste pas moins que les deux personnages conçus par Stéphane Bouzon et qui ont élu domicile (qui squattent ? doivent pas payer le loyer...) depuis 15 ans dans Lylo, l'agenda des concerts sur Paris – IdF, méritaient un recueil auto-édité. Preuve est une nouvelle fois donnée que le rendez-vous régulier dans la presse est un terrain de jeu exigeant qui conduit à doser de manière précise running gag, pour s'assurer la complicité des fidèles, et incursions inédites pour éviter la lassitude. Dans l'album-somme de strips proposé aujourd'hui, le rendu des couleurs risque de faire tiquer au début, mais le renouvellement des décors, façon blue screen avec projection de thèmes de fonds d'écran d'un goût discutable, est franchement réjouissant et fait allégrement oublier quelques démangeaisons rétiniennes. Ce n'est sûrement pas la première fois qu'un duo petit gros / grand maigre fait son numéro en montrant le mauvais exemple mais, vous, décroisez les doigts, levez votre c.. du pouf et allez lâcher 10 € à votre libraire pour cet éloge de la glandouille.