D
ans les rues sales d’un bidonville sud-américain, un homme est poursuivi par les sicaires du caïd local, Monteiro, rattrapé, égorgé, puis balancé dans une fosse, au milieu des ordures. Le lendemain, Paulo, Manoela, Raul et « le Gros » contemplent son cadavre détroussé. Convaincus de n’avoir aucun avenir dans cette favela sordide, ils décident de prendre leur destin en main. Les quatre copains rejoignent un squat de gosses faméliques, vivotant grâce à leur corps, à l’alcool et aux vapeurs de colle. Au même moment, Francisco, le communiste, sort enfin de prison avec une seule envie au cœur : renverser le gouvernement et apporter l’espoir aux miséreux. Sa route et celle de son Commando rouge croise bientôt celle de Paulo et ses amis, alors que la police, avide de violence, s’attaque au repaire des enfants. L’univers n’est plus qu’une danse macabre où sifflent les balles, gicle le sang, et brûle le feu dévorant tout…
Les mèches courtes ouvre la Trilogie des ventres creux qui se propose de dessiner les réalités politico-sociales de trois continents – Amérique Latine, Afrique et Europe -, à travers des aventures sombres se déroulant dans des pays imaginaires mais réalistes. Ce premier volume plonge au cœur du continent sud-américain, dans un coin de terre qui rappelle les bidonvilles brésiliens. S’articulant autour de quatre chapitres, le scénario de Fabien Tillon happe d’emblée le lecteur et le plonge dans une ambiance violente et désespérée. Tout commence par une course-poursuite échevelée, sans autre issue que la mort. Le ton est ainsi donné et le récit, placé sous de noirs auspices, s’engage ensuite dans une spirale infernale faite d’explosion de colères, d’orages d’acier, de pluie sanglante, de rêves qui s’éteignent à peine conçus. Les deux auteurs narrent sans aménité ni fioriture, la terrible descente aux enfers des protagonistes, Paulo et ses copains en tête que l'on voit, impuissants, sombrer de Charybde en Scylla.
Touchants, ces quatre gosses des rues sont les témoins et les victimes d’un monde au bord du chaos, pour lequel leur vie n’a aucun prix, pas même celui de la balle qui les abattra. Ils font face aux adultes de l'histoire : le caïd bedonnant et suant qui, pour être tranquille, accepte de renseigner un colonel aussi abject que brutal, le pédophile qui profite des faibles pour assouvir ses désirs déviants, l’homme politique véreux et le révolutionnaire. Ce dernier cristallise à lui seul toutes les passions, les revendications, le ras-le-bol des infortunés et des laissés pour compte. Il endosse le rôle du Che Guevara ou du José Martí local, prônant la rébellion, prenant les armes, haranguant, insufflant le désir de se libérer à ses compagnons.
Répondant aux dialogues incisifs et crus de Fabien Tillon, le dessin brut et rude de Gaël Remise porte le récit de bout en bout. Sous son crayon alerte, croquant avec justesse maisons aux toits de tôle, décharges et personnages, les pantins de la favela s’animent, s’émeuvent, tentent d’oublier la vacuité de leur existence dans la colle ou la drogue, flirtent sans cesse à la limite du précipice jusqu’à ce qu’une pichenette du destin les y pousse sans ménagement. La mise en couleurs aquarellée permet de renforcer les atmosphères, glauques, poisseuses, nauséeuses qui semblent coller à la peau de chacun des intervenants, comme une fatalité.
Premier volet d'une trilogie prometteuse, Mèches courtes prend aux tripes, captive par la réalité violente qu'il dévoile.