Le 02/03/2024 à 13:08:36
L'avatar du posteur Blue boy Avec « Tout est vrai », Giacomo Nanni conserve le mode narratif singulier entamé avec Acte de Dieu. Comme pour ce dernier, il choisit la voie « documentaire », entre guillemets, dans une tonalité très factuelle, presque clinique. Ce faisant, il va relier deux thématiques qui a priori n’ont rien à voir entre elles, l’une scientifique à travers la zoologie, l’autre plus historique en examinant la relation difficile de la France avec son histoire coloniale récente, avec un zoom sur un pays en particulier, l’Algérie, sujet sensible s’il en est. En choisissant comme base de son récit le tournage du film d’Hitchcock, « Les Oiseaux », l’auteur italien, qui aujourd’hui vit à Paris, va nous immerger dans la « communauté » des corneilles, un oiseau qui semble avoir élu domicile dans la capitale française, attiré par la nourriture abondante dans les poubelles et l’absence de prédateurs. Remarqué pour son comportement agressif, celui-ci suscite la grogne des habitants, qui lui reprochent par ailleurs les dégradations du cadre urbain (poubelles éventrées, détritus sur la voie publique, pelouse et plantations arrachées…). Et pourtant, le volatile est considéré d’une intelligence hors du commun, comparable à celle des chimpanzés. Giacomo Nanni va consacrer la première partie de l’ouvrage à la corneille, allant jusqu’à lui conférer la position du narrateur. L’oiseau devient le personnage central, les humains ne sont plus que des silhouettes, et le lecteur va suivre la corneille dans son vol étourdissant au dessus des toits parisiens et du parc des Buttes-Chaumont. Le volatile a de la mémoire et sait dire merci. A ce policier d’origine maghrébine qui l'a délivré d’un piège à corneilles, il exprimera sa gratitude en lui apportant des « cadeaux » sur son balcon. La connexion avec le second sujet du récit est faite… Nanni va évoquer le « background » de cet homme, ses parents immigrés, les raisons qui l’ont poussé à devenir policier dans un pays où un tel acte peut s’apparenter à une trahison auprès des « banlieusards issus de l’immigration ». A défaut de l’expliquer, l’auteur va tenter de reconstituer le puzzle d’une blessure douloureuse de l’histoire franco-algérienne, depuis longtemps confinée sous la chape du déni, et suggérer un lien avec l’attentat de 2015 contre Charlie Hebdo. Ce policier, c’est Ahmed Merabet, qui fut assassiné par les deux terroristes devant les locaux de l’hebdomadaire satirique. Giacomo Nanni, partant de l’hypothèse que la corneille a assisté à la tuerie, va imaginer quelle aurait pu être sa réaction… Interagissant avec les textes, les dessins dialoguent également entre eux dans une sorte de va-et-vient permanent. Les images les plus marquantes du récit impriment la rétine du lecteur, des images fixant les envolées vertigineuses de la corneille dans le ciel parisien ou ces joggers courant sous la pluie dans le parc des Buttes-Chaumont pour s’entrainer au djihad, telles des photographies subliminales traitées sous le filtre pointilliste et coloré de l’auteur. Avec Acte de Dieu, l’auteur se faisait le porte-parole des éléments, cherchant à souligner la césure entre l’Homme et la nature par des connexions imperceptibles et mystérieuses. Une fois encore, avec « Tout est vrai », il tente de trouver une troisième voie, hors d’une quelconque rationalité scientifique malgré les apparences, en se contentant d’énoncer des faits purement objectifs, sans jugement, sans récrimination mais sans parti pris non plus. « Tout est vrai », ce sont les faits, rien que les faits. Et parallèlement à ces faits, une vue d’artiste qui intrigue et ne livre pas toutes ses clés, mais cherche peut-être seulement, avec cette corneille, perçue comme une intruse dans un monde « civilisé », incarnation amorale du terrorisme immoral, à nous faire adopter une position plus empathique vis-à-vis de nos supposés ennemis. Un ouvrage à lire pour (tenter de) voir les choses qui nous révoltent sous une perspective différente, pour quitter un moment nos habitudes de pensée.Le 19/04/2023 à 07:34:26
Tout est vrai. C’est une affirmation bien péremptoire que voilà. Il faut parfois douter pour garder son esprit libre de toute contrainte ou propagande. On commence par faire connaissance avec une corbeille, ces oiseaux noirs qui n’ont pas bonne presse. Visiblement, c’est le narrateur de ce récit où il n’y aura pas de dialogue mais juste des remarques et des observations sur le monde qui nous entoure. C’est intéressant de partir du film d’Alfred Hitchcock à savoir « Les oiseaux ». Ce film m’avait beaucoup marqué durant ma jeunesse car il entraîne la peur. Il est vrai que les oiseaux sont généralement des animaux assez inoffensifs et on ne les voit pas attaquer massivement l’être humain. Mais bon, qui sait ce qui pourrait arriver dans certaines circonstances ? J’ai été assez étonné de voir à un moment donné que le propos va se concentrer sur la thématique du terrorisme islamiste. En effet, notre narrateur après avoir été attaqué par une fille lui lançant une pierre, va suivre deux hommes pas très nettes qui se préparent à commette l’irréparable dans la capitale parisienne. Cela devient progressivement assez lourd dans la narration pour nous expliquer le parcours de ces deux hommes qui basculent dans le terrorisme. J’ai pas du tout aimé cette rupture de rythme. Par ailleurs, cela apporte rien de plus que l’on ne sait déjà. Le graphisme faisant dans le minimalisme, ce n’est pas de ce côté-là qu’on pourra trouver de la grâce et de l’élégance. Bref, l’ensemble est plutôt terne et basique. Il y a un effet final pour tenter de rapprocher l’agression de la fille avec la tuerie d’un policier sur le trottoir par les deux terroristes. Je dirai que c’est assez maladroit non seulement dans l’approche mais dans la mise en forme. Bref, c’est un titre qui ne m’a pas particulièrement marqué. Parfois, il peut y avoir des ratés et il faut l’accepter comme tel. Tout n’est pas que jubilation. Comme dit, tout n’est pas vrai !Le 22/04/2021 à 10:05:36
Tout est vrai dans le sens où tout se passe et se passe maintenant. Anecdotes, faits et tranches de vie se superposent et s'agencent au gré des réflexions et de l'histoire que l'auteur souhaite nous raconter. Cette méthode est également utilisée pour la production des dessins. L'auteur joue ici avec des transparents aux couleurs primaires pour obtenir l'effet désiré. Avec ce livre, Giacomo Nanni se place aux côtés d'une autre super innovatrice, Marion Fayolle.BDGest 2014 - Tous droits réservés