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aris, en juillet 1910. Le jour n’est pas encore levé quand le starter donne le départ du Tour de France cycliste en présence d’Henri Desgrange, sportif accompli, organisateur de l’épreuve et rédacteur en chef du journal l’Auto. Harnachés de boyaux de rechange, cent dix coureurs s’élancent. Tous nourrissent l’espoir de parcourir en trois semaines les 4735 kilomètres imposés et de rallier le Parc des Princes en vainqueur. Quarante et un réussiront à fermer la boucle.
Dès la première planche, Nicolas Debon rentre dans le vif du sujet. A la manière d’un speaker, il présente les conditions de participation, les lignes du tracé, les principaux coureurs, les innovations techniques. Il n’oublie pas de rappeler le point crucial du règlement qui interdit l’apport de toute aide extérieure aux compétiteurs durant le trajet, en dehors des rares secteurs réservés aux vingt-neuf privilégiés rattachés à des équipes. Là où Lax avait lié le Tour de France, la montagne et l’odyssée d’un homme (L’aigle sans orteils) et où Fréréric Kinder s’était cantonné à raconter anecdotes et bassesses (Tour de force), il se transforme en reporter et couvre les quinze étapes et les journées de repos. Ce choix comportait le risque de rendre le récit soporifique, il n’en est rien. Le découpage est suffisamment astucieux pour préserver le plaisir de lecture. Chaque journée divulgue son lot d’informations purement sportives et s’attache, en préambule, à poser un regard plus particulier sur les coulisses de la compétition et sur les hommes. Conversations entre pédaleurs, entre organisateurs, restitution de l’atmosphère de l’époque parfumée au terroir, éclairent le récit. Des petits trucs pour se préserver du froid aux produits destinés à relancer l’organisme en cas de défaillance, des rapports « d’intendance » aux actes inavouables, mais aussi les conflits d’intérêts entre ceux qui poursuivent un rêve de victoire et ceux, à la limite du cynisme, dont l’objectif plus où moins avoué est de repousser les limites de la performance pour mieux vendre un journal, tout est dit. La souffrance aussi. Car l’épreuve est inhumaine. Elle charrie son lot de chutes et d’abandons. Des journées entières (parfois plus de douze heures, la plus longue distance parcourue faisant 424 Km) sont passées sur le vélo à pédaler - quand la difficulté n’impose pas de poursuivre à pieds – à braver la chaleur et les intempéries, à se relancer après avoir réparé une crevaison ou un autre problème technique, à couper son effort pour chercher son chemin du fait d’un manque de signalisation. A enchaîner, pour la première fois, l’ascension de sept cols des Pyrénées… et connaître l’enfer. Avant, souvent, de repartir le lendemain. Du moins pour les plus « chanceux », ou les moins « malchanceux ».
Première bande dessinée de Nicolas Debon publiée en France, Le Tour des géants est un très bon documentaire. Très détaillé sans être exhaustif, toujours vivant, jamais rébarbatif, il parlera aux amoureux de la petite reine, amateurs comme professionnels, mais aussi à celles et ceux qui s’intéressent au sport en général, aux exploits, et à la condition humaine. Si ce n’est déjà fait il ouvrira, plus largement, la réflexion de la société moderne sur la relativité de la notion de progrès en matière d’effort et invitera à l’humilité.
A titre indicatif :
Les coureurs du Tour de France 2009 ont rallié les Champs Elysées le 26 juillet dernier après avoir parcouru 3459,5 kilomètres, à la moyenne de 40,315 km/h. Cent cinquante six des cent quatre vingt engagés ont rejoint Paris. (Source: article du journal Sud Ouest du 27 juillet 2009). Tous étaient membres d’une équipe et pouvaient être assistés par un staff technique durant la quasi totalité de la compétition. La plus longue des 21 étapes s’étalait sur 224 km. Elle a été parcourue en moins de 6 heures par le vainqueur.
La preview
Les avis
Erik67
Le 05/09/2020 à 14:09:52
J'aime bien le vélo comme moyen de locomotion mais pas forcément le Tour de France dénommé en l'espèce le tour des géants. J'avais déjà pu apprécier une bd de Lax à savoir L'Aigle sans orteils qui se déroulait durant les premières années de ce tour mythique pour la plupart de la population.
Le Tour a déjà plus de 100 ans. C'est un grand âge. C'est surtout l'occasion de se remémorer ce qu'a été la grande boucle à ses débuts. Si on savait déjà que c'était une épreuve bien difficile pour les coureurs, on ignorait le lot d'amendes gratuites et autres combines foireuses entre concurrents. Sans oublier la poule qui vient se coincer dans les rayons ! Aussi, ce nouvel éclairage du Tour n'a pas été inutile.
On voit que c'est un passionné du tour qui a décrit dans les moindres détails chacune des étapes du Tour 1910. Au début, cela fait un peu compilation de données. Il en ressortira tout de même quelque chose d'assez positif : la victoire ne tient qu'à un fil. La chance et l'endurance y sont pour beaucoup.
Il est vrai que le côté sang et larme est volontairement accentué pour souligner le caractère extraordinaire de cette aventure humaine. Et puis, ce récit possède un côté passionnant pour savoir lequel des deux favoris va gagner l'étape ultime de cette compétition. Il y a une espèce de graduation de la tension avec une narration qui ressemble à celle d'un commentateur sportif.
Ce qui était bien, c'était le tracé de ce Tour qui effectivement couvrait toute la France dans sa périphérie. Il passait même par l'Alsace-Lorraine alors occupée par la Prusse comme pour rappeler que c'était un territoire auquel la France tenait particulièrement. L'épilogue sera là pour rappeler que la grande guerre carnassière n'est pas très loin ...
Je ne sais pas si cette bd plaira forcément à tout le monde. Les passionnés du tour y trouveront leur graal. Pour les autres, cela sera quand même partagé. En ce qui me concerne, c'est déjà pas mal car j'ai appris beaucoup de détails intéressants.
bubulle51
Le 19/10/2009 à 07:57:10
C'est vraiment un super moment d'assister avec presque un siècle de décalage à ce tour dément au niveau physique et psychologique. Ils doivent gravir des montagnes alors qu'ils n'ont même pas encore de vitesse, ils changent de pneus tous les 4 km et sont souvent seuls. Les images mettent vraiment bien en valeur ce récit. A mettre entre toutes les mains, même les non amateurs de vélo pourraient bien y prendre du plaisir.