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i]Le prix d'un objet, c'est le sacrifice qu'il représente. Kirt est l'homme le plus riche du monde. Pour lui, son travail est comme le Monopoly : démarrer avec une petite mise puis amasser, amasser, amasser, jusqu'à faire péter la banque, ainsi se confie-t-il à son psychologue. Quelle est la finalité de tout cela ?
Hugo Bienvenu propose à nouveau un roman graphique d'anticipation, en fait la réunion de deux titres (Premium+ et Développement durable) déjà parus auparavant et réunis ici. Contrairement à son excellent précédent ouvrage, Préférence système, ici, pas de poésie ni de romance, plutôt un certain cynisme et un ton implacable, comme si l'auteur n'avait que peu d'espoir en l'humanité. Dans Total, il met en évidence les liens automatiques qu'entretiennent l'économie et le concept de valeurs, le don que chacun est prêt à faire pour l'obtenir et bien d'autres choses encore. Son héros est l'incarnation absolue et caricaturale du système. Les individus qui gravitent autour de lui servent de contre-points à sa vision et permettent de développer les concepts abordés. Cette dystopie au plus près du réel s'inspire de la société actuelle. C'est assurément un livre ambitieux sur une idée générale vertigineuse, autour de laquelle découlent moult pensées dérivées non moins intéressantes. Et l’ensemble donne une histoire d'apparence «intello», mais faite pour alimenter la réflexion du présent et qui laisse le reste du champ – immense – au lecteur, en ouvrant des pistes ; à lui de réfléchir sur les fulgurances qui parsèment l'ouvrage. Ne soyez pas rebuté par les pourparlers économiques du début qui sont souvent abscons, ça parle marketing, trading, bourse… néanmoins ce qui importe, c'est le sens général de "posséder", du besoin de conquérir, de l'attraction du gain et finalement, pas du bien en lui-même, cette recherche inlassable de la jouissance, l'attrait et les dérives du pouvoir, dépouiller l'autre en lui laissant l'impression qu'il y gagne, c'est bien le dessein. Le personnage principal, détestable au début, suscite finalement l'empathie car il est humain, dans toute ses contradictions. Le côté perché du scénario est accentué par l'aspect visuellement surréaliste et les échanges tour à tour crus et profonds.
Adepte du travail sur ordinateur, l'artiste possède un style rétro-futuriste s’inspirant de la photographie et une palette de couleurs synthétiques, renforçant l'aspect froid du récit. La composition basique des séquences et le découpage à minimum de case sont efficaces et témoignent de son expérience dans l’animation. Il est ainsi capable d’alterner, sans que la lecture soit heurtée, moments contemplatifs, scènes d’action et dialogues.
Une fable de science-fiction sur comment l'avoir aura toujours le dessus sur l'être. Glacée et grinçante.