Info édition : Noté "Dépôt légal : Premier trimestre 2017" .
6 pages de bonus en "épilogue".
Résumé: Le 26 avril 1937 un déluge de feu s’abat sur la ville basque de Guernica. La vie de Tomka bascule en quelques instants. Sa femme, son enfant… tout son monde disparait sous les bombes fascistes. Désormais Tomka le gitan, l’étranger, ne va vivre que pour la vengeance. La loi de son peuple veut que les coupables soient châtiés par la mort et il s’enrôle dans l’armée républicaine, uniquement parce qu’on lui donne un fusil à pointer sur les assassins de sa famille. La guerre des gadjé va être aussi sa guerre et sa détermination farouche l’aidera à supporter la faim, le feu, la stupide discipline de l’armée. Au siège de Huesca, Tomka rencontre Amalur, belle et courageuse combattante basque. L’amour qui nait aussitôt entre eux les accompagnera de bataille en bataille, de défaite en défaite, jusqu’à la débâcle finale. Leur passion semble avoir survécu à la folie meurtrière des hommes, mais c’est sur le chemin de l’exile, à un pas du salut, qu’un ultime drame les attend, plus terrible encore que la guerre même…
C’est par des images puissantes et évocatrices, par des dialogues courts et secs, que Massimo Carlotto et Giuseppe Palumbo nous plongent au cœur d’un conflit emblématique : le dernier moment de notre histoire récente où – comme le dit Carlotto – « les paroles de chansons et le sens des rêves ont eu une chance de devenir réalité ». Carlotto et Palumbo ont choisi de laisser les faits historiques en toile de fond pour dégager avec plus de force les traits de leurs personnages : Tomka le gitan qui se bat pour venger les siens, mais aussi le syndicaliste noir américain qui a fui les racistes du Klan ou le gradé des troupes marocaines, chair à canon des franquistes, qui se dresse contre ses supérieurs. Dans les histoires de ces personnages, marginaux aux enjeux de cette Guerre civile mais inéluctablement happés par son engrenage infernal, revit – loin de toute rhétorique – la mémoire de tous ceux qui se sont battus jusqu’à la mort contre le fascisme et pour leurs idéaux.
A
lors que Tomka attend sur ce quai de gare, des images défilent dans sa tête. La perte des siens et la douleur immense qu'il a ressentie, son enrôlement dans l'armée républicaine pour les venger, sa rencontre avec Amalur, leur amour et la guerre, surtout la guerre. Ses combats, sa fureur, la haine et la vengeance qui le guident, puis la peur. Mais il est trop tard pour avoir des regrets, l'heure des retrouvailles a sonné et avec elle, il l'espère, l'exil, l'apaisement, le bonheur, enfin...
Dix ans après L'alligator (chez Casterman avec Igort), Massimo Carlotto revient à la bande dessinée. En prenant pour héros un gitan - par définition nomade et apolitique -, il s'affranchit de toute obligation de jugement sur les raisons de cette guerre. À mesure que le sort malmène cet homme qui ne prend pas farouchement parti, l'auteur met en lumière un conflit où la violence, comme souvent, n'a pas fait de distinction et dans lequel s'embarquer relève plus du hasard que du choix. Aveuglé par la colère et la peine, Tomka prend les armes sans même se poser de question ; il ne lutte pas, il attend la mort en priant pour croiser ceux qui lui ont tout pris. Patiemment, le romancier brosse le portrait d'un homme en égrenant les batailles marquantes qu'il traverse, du bombardement de cette commune de Biscaye - véritable détonateur du coup d'état - à la chute de Madrid et la défaite du pouvoir en place, puis la fuite des uns et des autres. Cette construction laisse à l'enchaînement des évènements le soin d'incarner la force de l'Histoire, tandis que le scénariste joue sur l'économie de texte, comme son héros sur celle des mots. S'appuyant sur des faits et des personnages réels, il croise les existences, de toutes nationalités, tandis que les pertes s'accumulent et la mort continue son œuvre. Car même si l'amour vient, un temps, estomper la rage et la douleur qui commandent le gitan depuis le départ, son issue est inéluctable.
Pour accompagner cette mise en scène dépouillée et grave, Guiseppe Palumbo utilise un dessin direct, pinceaux et encre. Le dessinateur opte pour une trichromie - noir, blanc et ocre - qui donne toute sa puissance à un trait vif où les aplats jouent sur les ombres et les contrastes. De même, il varie le fond des planches - tantôt blanc, tantôt noir - pour accentuer la dramaturgie des séquences, appuyer un dialogue ou faire ressortir un détail. Rappelant par moments le travail d'Edmon Baudoin, notamment lors des passages avec narration en voix off - l'auteur de Escobar - El Patron livre une prestation convaincante et prouve par la même occasion sa faculté d'adaptation pour se mettre au diapason du propos.
Derrière le destin tragique d'un homme meurtri, Massimo Carlotto et Guiseppe Palumbo peignent l'histoire de la guerre civile espagnole à laquelle beaucoup ont pris part sans toujours savoir pourquoi. Un bel album qui invite à s'intéresser à un conflit proche mais tellement lointain.