Résumé: Si Hergé a souvent conçu l’élaboration de son œuvre autour de diptyques célèbres (Le secret de la Licorne & Le trésor de Rackham le Rouge ou Objectif Lune & On a marché sur la Lune), il nous paraît évident que les trois derniers albums de la série sont les trois piliers d’un seul et même projet, que nous pourrions intituler ainsi : En finir avec Tintin ?
Les Bijoux de la Castafiore est un album à part dans l’œuvre Hergé, car si l’histoire semble banale - et elle l’est selon le point de vue de son créateur -, elle incarne un projet ambitieux, mais encore jamais révélé (qui le sera dans l’opus consacré à une relecture de cet album).
L'histoire racontée dans l’album Les Bijoux de la Castafiore se déroule principalement au château de Moulinsart, contrairement aux aventures exotiques habituelles de Tintin. Ce huis clos a suscité la surprise, puis la polémique et enfin la fascination de nombreux commentateurs de l’œuvre de Hergé. L'album fut considéré comme un « anti-récit » où l’intrigue secondaire (le vol des bijoux par une pie) était un prétexte pour évoquer les difficultés de communication entre les protagonistes de l’histoire. Ce n’est pas notre point de vue. Nous considérons, au contraire, que la disparition des bijoux est au cœur du dispositif mis en place par Hergé, qu’elle en est l’enjeu principal, unique, implacable et définitif.
Rappeler que la Castafiore est un « Rossignol milanais » qui se comporte tel un coucou dans le nid symbolisé par le château de Moulinsart est certes distrayant, mais il est temps, après tant d’années, de révéler la véritable raison d’être de cet album. Si Hergé aborde des thèmes aussi variés que la peur de l'étranger, les préjugés, ou encore l'ambiguïté des relations entre les individus, ne nous y trompons pas : Les Bijoux de la Castafiore brille surtout par sa quête du pardon, un pardon qui trouvera son apogée dans Tintin et les Picaros, un pardon que « Le Tibet » fut incapable d’incarner, ni d’approcher...
Relire les albums conçus par Hergé, après celui qui lui a permis de mieux vivre avec ses névroses (Tintin au Tibet), en s’accordant une liberté totale d’interprétation, et en négligeant tout ce qui a déjà été dit et écrit, c’est se donner le droit et la possibilité de se rapprocher du privilège que les créateurs, qu’ils soient littéraires, mélomanes, statuaires ou picturaux, espèrent vivre un jour de leur vie : celui qui fait de l’initiateur d’une création le spectateur de son propre travail, ou plus précisément, lorsque le produit de la pensée acquiert une telle autonomie qu’il devient évident que l’artiste est le jouet de son œuvre.