Résumé: Moulinsart... J'y suis entré un jour de l'été 57, n'y connaissant personne, ni Haddock, ni Nestor, ni Tryphon ni même Tintin. Une belle maison en pierre blanche avec de hautes toitures d'ardoises sur lesquelles brillait un ciel bleu. Je ne suis pas revenu de cette première visite. J'ai arpenté sans fin, pendant soixante-quatre ans, le château du capitaine, toujours étonné de m'y perdre, comme on s'égare régulièrement dans les couloirs, revisités chaque nuit, d'une demeure onirique.
A
rrivé dans la saga en cours de route lors du diptyque Le secret de la Licorne/Le trésor de Rackham le Rouge en 1942-43, le château de Moulinsart est ensuite devenu le point d’ancrage des héros. Malgré sa «véracité» historique, le domaine a été octroyé à François de Hadoque, l’ancêtre du capitaine, par Louis XIV en personne à la fin du XVIIe siècle et la méticulosité légendaire d’Hergé, son plan n’a jamais été établi. Plus étrange encore, la répartition des pièces et des étages change à chaque album au gré des besoins des scénarios. Sa position géographique est également inconnue. Cependant, plusieurs indices le situeraient en Belgique à quelques encablures de Bruxelles, même si un maximum de sa patine belge a été estompée au fil du temps.
Puisque tout ce qui est estampillé Tintin se doit d’être décortiqué, il n’est pas surprenant de voir l’auguste bâtiment passé au filtre fin des tintinologues amateurs et distingués. Pierre Bénard fait partie de ceux-ci et propose une visite guidée à sa manière des lieux dans Mille sabords ! Mon beau château. Même s’il ne peut s’empêcher de compter les marches ou les pierres du fronton pour signaler son architecture fluctuante, l’auteur a plus axé son essai sur la rêverie et l’exploration intérieure. En passant en revue les différentes scènes se déroulant dans le domaine, il laisse filer sa plume et dresse des instantanés contrastés et décalés. La bâtisse en premier lieu, mais aussi ses habitants, l’inamovible Nestor est particulièrement mis de l’avant, ainsi que les visiteurs de passage servent de point de départ à des petites digressions. Souvenirs personnels, un soupçon de métaphysique ou de relecture critique, ces courts textes reposant sur l’air du temps et une connaissance approfondie du corpus se montrent agréables à parcourir, même s’ils n’apportent rien de très concret au final. En effet, les réminiscences se répètent un peu et les réflexions reposent souvent beaucoup sur l’auto-persuasion plutôt qu’une véritable analyse littéraire.