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23 ans, Renaud traverse le Pakistan avec des moyens de fortune. La rencontre avec ce pays sera pour lui l’occasion d’échanges et de découvertes. Il va essayer de laisser sa culture occidentale en dépôt à la frontière afin de s’ouvrir à autrui dépouillé de préjugés, en partant du « principe de l’innocence » et en se laissant guider par « l’étonnement ». Immergé dès son arrivée dans une atmosphère où la religion se pose au centre de toute chose, il va se laisser dériver au gré des contacts et côtoyer différentes approches de l’Islam avec une constante à son encontre : la volonté de le convertir.
A travers ces trois volumes, l’auteur livre toute l’évolution des pensées que l’immersion dans cette partie du monde musulman le poussera à mener. Loin du souci d’effectuer des recherches théologiques pointues sur les textes, il délivre une approche basée sur le relationnel, distillant avec subtilité un soupçon de malice dans le sérieux de sa démarche. Le mode de narration varie entre bande dessinée au sens propre du terme, quand Renaud De Heyn s’ouvre aux paroles et aux ambiances qui s’offrent à lui, et pauses consacrées à des réflexions plus personnelles avec, en fond visuel, ces petits riens qui constituent la saveur d’un carnet de voyage. Cette construction dégage de multiples possibilités visuelles dont le dessinateur ne se prive pas, usant avec à propos d’une mise en couleur locale. Il fait ainsi profiter le lecteur de son talent à retranscrire la beauté et la profondeur des paysages, l’aspect majestueux des mosquées et la simplicité apparente, truffée de détails, des petites échoppes. Ce caractère est relativement symbolique de ces gens d’origine et de condition diverses par lesquels passe La tentation.
Si, lorsqu’il relate ses entretiens, il tente de rapporter avec justesse l’argumentation qui lui est tenue, Renaud De Heyn ne dissimule pas lors de ses analyses l’enthousiasme et les doutes que sa culture ne manque pas de réveiller en lui. Il reçoit en effet bien plus que ne lui est laissée l’occasion de donner : la dureté des faciès ridés et tannés, trait travaillé dans le détail, appuie cette idée d’une indicible pression sociale mélangée à une sorte de convention nécessaire qu’il aurait tacitement et préalablement acceptée. Ses rares tentatives de glisser un grain de sable dans une rhétorique peu habituée à souffrir la contestation seront motif à déclencher des colères sourdes ou emportées, à l’exception notoire du cas où il s’agit d’une demande derrière rideau venant de l’hôte. Ainsi est amené avec finesse un échange avec de jeunes adultes pakistanais lors du visionnage d’une « love story » (sic) qui n’est pas sans laisser quelques questions en suspens. La rencontre de plusieurs Européens convertis ne sera pas non plus sans lever des interrogations quant aux motivations de chacun et leur place au sein de ce système.
A travers le prisme du parcours individuel, la retranscription de ce voyage au cœur d’un pays en proie à bien des turbulences est d’un intérêt certain car il permet, sans sombrer dans les dérives de la condescendance ou de la caricature, une vision plus approfondie que celle communément proposée par les médias de masse. Le tout est servi par des qualités graphiques remarquables.