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’un côté, la blancheur lumineuse de la vie. De l’autre, les ténèbres insondables de la mort. Entre les deux, une porte, infime, qui s’ouvre quand l’heure a sonné. Parfois, il devient trop lourd de porter un cœur malmené et des soucis par milliers, surtout pour une adolescente esseulée et affligée. Alors, la tentation est forte de frapper à l’huis pour s’échapper, fuir, en finir. « Ouvre-moi », dit la jeune fille. « Non, c’est trop tôt », répond la Mort ennuyée. Et le dialogue s’engage, jusqu’à l’apaisement…
Dès l’ouverture, le style épuré, tant graphique que narratif, de Kinotoriko saute aux yeux. A lui seul, il porte les soixante-cinq tableaux de cette conversation lancinante entre une ado perdue dans ses tourments et la Faucheuse personnifiée par un squelette. En haut de chacune des doubles pages se déploient les quelques mots échangés, de courtes phrases qui vont à l’essentiel tout en faisant résonner la corde sensible. Les dessins, eux, noirs sur fond blanc côté lumière, blancs sur fond noir côté ombre, sont d’abord ramassés au bas de la surface avant de prendre possession de celle-ci au gré des propos, et finir par se replier dans un coin.
La forme suscite donc la curiosité, et son dépouillement tout d’élégance et de finesse semble accompagner merveilleusement le thème abordé : le suicide. Car c’est bien de ce désir d’en finir avec la vie dont il est question ici, sans pour autant que l’ouvrage soit macabre. Bien au contraire, au fil du dialogue, la Mort apparaît comme une amie, consolatrice, temporisatrice, raisonnant et argumentant avec vivacité, jouant les confidentes et chassant finalement le chagrin, mais pas comme le personnage s’y attend. Chaque assertion de la jeune fille est démontée par la Faucheuse et vice-versa. Tout y passe, depuis la lassitude de souffrir et celle de se défendre sans arrêt face aux attaques extérieures jusqu’à l’injustice constituée par le décès d’innocentes victimes des guerres, en passant par la crainte qu’inspire un avenir encore incertain et un passé sur lequel on ne peut revenir. Chacun de ces états est représenté avec justesse et simplicité, ici un cœur criblé de clou, là une armure pesante, ailleurs une forêt dont l’orée reste invisible.
Difficile, ainsi, de ne pas se sentir touché, à défaut de trouver dans ce manga l’écho d’expériences douloureuses. Plus difficile encore de ne pas se laisser séduire et ravir par les délicates attentions de ce squelette prévenant qui offre une rose ou égrène quelques notes réconfortantes sur une guitare. Cependant, la dernière scène passée, la mélodie reste comme suspendue, laissant le lecteur un peu perplexe face à un traitement joliment tourné, certes, mais resté à fleur d’eau, comme si plonger plus profondément aurait pu entraîner la chute, irrémédiable. Pour autant, Tendre est la mort constitue un manga atypique, plein de charme et de pureté.