Résumé: L'homme, le plus cruel des primates
Entre 1978 et 1990, Robert Sapolsky et Lisa Share-Sapolsky ont étudié plusieurs troupes de babouins au coeur d'une réserve naturelle au Kenya. Leurs observations sont sans appel : quand les mâles alpha qui font régner la terreur sont décimés à la suite d'une contamination, les agressions et le stress baissent au sein des troupes, qui retrouvent l'harmonie du vivre-ensemble et s'épouillent en paix... Qu'en est-il dans nos Sociétés occidentales ?
États-Unis, de nos jours. Aux quatre coins du pays, on dénombre des crimes sordides. Ces exactions, a priori isolées, intriguent le FBI, qui commence à faire le lien entre les différentes affaires. Car à chaque fois, ce sont des hommes de pouvoir qui sont visés, et leurs femmes systématiquement épargnées. C'est d'abord un célèbre avocat, mêlé à divers scandales sexuels et financiers, qui est assassiné sous les yeux de sa maîtresse... Colleen Thompson, la jeune agente du FBI en charge de l'enquête, dresse le profil d'un tueur caméléon, ou plutôt celui d'une tueuse ! Quelles sont ses véritables motivations ? S'agit-il d'une affaire politique ou d'une violente déclaration de guerre au patriarcat ? Alors que l'enquête s'enlise, la main vengeresse de cette femme insaisissable frappe de nouveau. Mais cette fois, c'est bien une femme qui est visée : une candidate républicaine au programme conservateur... Au même moment dans le Missouri, un suprémaciste blanc ouvre le feu et fait plusieurs victimes innocentes entre les murs de Lincoln University ! Cet homme pourrait-il être la prochaine victime ? En attendant, il trouve refuge dans une communauté religieuse paramilitaire. C'est dans ce coin reculé de l'Oklahoma que tout va se jouer... Si le FBI a pu identifier les lieux et s'apprête à intervenir, la tueuse ne doit pas être loin non plus...
La tension monte à la lecture du nouveau roman graphique d'Emmanuel Moynot (Fauve Polar SNCF en 2020 pour No Direction) qui brouille les pistes jusqu'à la fin ! Dans ce polar sombre où l'on retrouve les influences de James Ellroy et Jean-Patrick Manchette, l'auteur se livre à un parallélisme saisissant qui donne à réfléchir. À travers un éclairage ethnologique déconcertant, il analyse les dérives des comportements humains et les compare à celles d'une tribu de babouins. Une fable noire, cynique et critique des États-Unis pour une double lecture au graphisme glaçant.
[
i]La vie est une jungle.
L’homme est un loup pour l’homme.
La raison du plus fort est la meilleure.
Parle à mon cul, ma tête est malade...
Oui... mais si on danse ?
Entre deux adaptations de textes littéraires (L’armée des ombres, L’assommoir), Emmanuel Moynot continue d'enrichir une œuvre personnelle avec des récits âpres ou drôles, ayant en commun une vision sombre de l’Humanité. D’un côté, des romans noirs classiques (Cherchez Charlie, No direction, L’original), de l’autre des variations plus ou moins humoristiques, voire philosophiques (La philosophie dans la savane, L’Humanité de mes couilles). À force de cogiter et d’approfondir ses préoccupations favorites, il est normal que l’auteur finisse par les faire se rencontrer. La suprématie des Underbaboons était donc inévitable. Tant mieux.
Histoire méticuleusement déconstruite façon puzzle, nourrie à l’adrénaline et aux derniers résultats de la recherche éthologique sur les primates, cette fable d’aujourd’hui ne serait rien sans l’apport de la bêtise humaine (pour rester poli) et l’aliénation généralisée du monde occidental (une pensée spéciale pour les USA, pays sans qui l’absurdité des temps modernes ne serait rien). Mais de quoi ça cause ? De tarés divers qui dégainent à tout va, d’agents du FBI qui leur courent après, d’un peu de technologie dépravée et, actualité oblige, de politiques décomplexées. Une valse à mille temps menée par une farandole de sociopathes qui, les pages défilant, donnent toujours plus de poids aux conclusions des biologistes (les références des articles scientifiques sont citées).
Quarante ans après ses débuts, Moynot a conservé toute sa rage et son originalité. De plus, ce qui pourrait passer pour une simple répétition de motifs déjà vus se révèle, en fait, être un condensé explosif et renouvelé, tant sur le fond que la forme. Des tueurs et des salauds, il y en a toujours eu, des policiers derrière eux aussi. Ils se sont simplement adaptés, sans rien perdre de leur férocité, malheureusement. Autre signe que les temps changent, les stéréotypes se sont également féminisés et l’égalité des sexes chez les méchants et les gentils est respectée. Que demander de plus ? Un peu d’espoir peut-être… Hahaha, que vous êtes naïfs.
Totalement abouti et particulièrement jouissif (ou déprimant, suivant sa sensibilité), La suprématie des Underbaboons est une lecture «dans ta gueule» que devraient apprécier tous les amateurs de thriller contemporain et de post-vérité antidatée.