O
rphelin de mère et abandonné très jeune par son père, Gerry a trouvé du réconfort et une passion dans les œuvres de Jules Verne, De la Terre à la Lune tout particulièrement. L’idée d’un canon géant pour propulser un vaisseau-obus le subjugue littéralement. Il a même imaginé un système postal qui utiliserait ce moyen pour envoyer les lettres et les colis. Logiquement, une fois adulte, il devient ingénieur et se spécialise dans la balistique. C’est également le sujet de l’heure en cette seconde moitié du XXe siècle : fusées et artilleries de précision sont deux domaines de recherche majeurs, alors que la Guerre froide crispe la planète pour des décennies. Inventeur, homme d’affaire affûté et une tendance à la mégalomanie vont faire de lui un fournisseur d’armes recherché, craint et gênant par tous les régimes du globe.
Supercanon ! est un vrai-faux biobic largement inspiré de la vie de Gerald Vincent Bull (1928 – 1990). Ce dernier fut retrouvé assassiné à Bruxelles, sans doute par le Mossad à cause du projet de canon à très longue distance qu’il développait, à l’époque, pour Saddam Hussein. Avant ça, ce Canadien d’origine avait conçu, construit et vendu obus et pièces d’artillerie à une multitude de clients (USA, Chine et Afrique-du-Sud parmi tant d’autres). Ses GHN-45, FGH-155 et FGH-203 sont encore utilisés aujourd’hui par de nombreuses armées. Comment passe-t-on de rêveur à un marchand de mort ? Telle est la thèse qui a intéressé Pascal Girard et qui traverse tout l’album.
Classique dans sa facture et son approche, l’ouvrage retrace l’existence de ce personnage plus grand que nature. À la fois parfaitement en phase avec son temps, tout en étant doté d’un tempérament quasiment romantique, ses rêves et son génie se retrouvent régulièrement en porte-à-faux avec la realpolitik en vigueur. Ne saisissant pas les nuances et les exigences iniques de la géopolitique, il va s’enliser et se compromettre toujours plus. Son seul but est de générer suffisamment de moyens financiers pour continuer ses recherches et d’arriver, enfin, à mettre un satellite en orbite à l’aide d’un mortier géant. L’auteur de Starzec raconte méticuleusement cette trajectoire, sans vraiment l’habiter malheureusement. En effet, passée outre la personnalité hors-norme du protagoniste principal, la narration se limite à présenter chronologiquement et sagement les faits (ou les supposés faits, car il s’agit d’une fiction). Seules quelques rares doubles pages oniriques tentent d’aller plus loin et font mine d’exacerber les dilemmes intérieurs du héros. C’est assurément bien fait, mais, à l’image du reste de la distribution, à peine esquissé et transcendé.
Intéressant, surprenant et souvent incroyable, Supercanon ! Le marchand d'armes qui visait les étoiles soulève des problématiques historiques et humaines à la fois choquantes et passionnantes. Dommage cependant, tant le traitement graphique et que l'analyse des forces en présences n’arrivent pas à totalement décrypter le caractère de ce savant au regard braqué vers les étoiles et ses démêlés avec une société implacablement terre-à-terre.