Résumé: Publiquement, un individu se prétendant le diable, défie Ric Hochet sur ses capacités à résoudre ses énigmes. Pour ce faire, il lui fixe un rendez-vous au droit d’un immeuble qui, à l’heure précise, s’autodétruit sans aucune déflagration. L’expertise conclut à l’usage d’un laser que, seul, le professeur Hermelin possède. Pareillement, quelques jours plus tard, le diable se rend maître d’un stock d’armes appartenant à la police judiciaire dont le code d’accès n’est connu que du directeur et du responsable du dépôt. Par ailleurs, lors d’une réception chez un banquier, des individus masqués fracturent le coffre de celui-ci dont la combinaison n’est connue que de lui-même. Une conclusion s’impose : le diable détient le moyen de lire dans le mental des gens, à la manière de ce télépathe du music-hall dont le nom de scène est Marcus le diable. Ric y voit un lien troublant.
C
hacun possède ses propres images d'Epinal, idées reçues ou autres a priori, des préjugés vivaces ancrés dans le subconscient. Les espions, par exemple. Ce sont d'abord tous des agents secrets, de sexe masculin. Dotés d'un sex-appeal ultra développé, ils sont le plus souvent entourés de belles créatures toutes tombées sous le charme devant tant de virilité. Truffés de gadgets plus sophistiqués les uns que les autres, ils parcourent le monde au péril de leur vie afin de sauver l'humanité du mal qui la ronge. Evidemment, le héros de Ian Fleming, et l'image que le grand écran a donné à son personnage fétiche, aura largement contribué à forger ce stéréotype du mâle courageux et séducteur.
Matt Kindt balaye d'un revers de la main ce vieux poncif en racontant sur plus de 300 pages le quotidien d'hommes et de femmes ayant œuvré dans l'ombre pendant la deuxième guerre mondiale, pour contrecarrer les plans de l'envahisseur. Transmission d'informations relatives aux déplacements de lignes ennemies, assassinat d'espions adverses ou découverte de plan de nouvelles armes, chaque mission est effectuée au péril de leur vie. Dans Super Spy, pas de super héros, pas non plus de beauté fatale, juste quelques gadgets dont la probabilité de fonctionner correctement est souvent très faible.
L'album est présenté sous forme de dossiers, 37 au total, qui sont autant de petites histoires, des tranches de vie d'agents infiltrés en Allemagne, en Espagne ou en Angleterre. Même si beaucoup de personnages sont récurrents, l'auteur n'a pas souhaité conserver un ordre chronologique, le lecteur devant lui-même s'affranchir de la délicate mission de tout remettre en ordre afin d'obtenir un récit à peu près cohérent. Cette liberté, ou contrainte c'est selon, a pourtant son revers de la médaille, celui d'un manque de fluidité. Passer rapidement d'un pays à un autre, d'une aventure à une autre, d'un espion à un autre est, au début, plutôt ludique. Néanmoins, à force de vouloir disposer de la bonne façon toutes les pièces de cet immense puzzle, l'exercice devient rapidement pénible.
Super Spy possède cependant de nombreuses qualités. L'originalité de l'objet tout d'abord, ses pages jaunies, salies par le temps ainsi que par les nombreuses mains ayant pu toucher ce livre de cryptogrammes. Les différences de traitement graphique, ensuite, empêchent de s'installer dans une totale monotonie. L'auteur passe allègrement de la couleur à la bichromie, puis au noir et blanc, alterne les styles d'écriture, use par moments de symboles pour revenir quelques pages plus loin à une forme beaucoup plus réaliste. Surtout, Matt Kindt parvient à susciter plusieurs sentiments contradictoires vis à vis de ses personnages sans jamais, pour autant, donner le sentiment qu'il prend parti de façon trop explicite.
A la manière d'un livre encodé, Super Spy peut se révéler bien différent selon la façon dont il est utilisé. La première, traditionnelle, étant bien évidemment de commencer sa lecture à la première page pour la terminer à la dernière. La deuxième, moins naturelle, moins évidente, étant de considérer l'album comme un journal de bord, un recueil que l'on pourrait ouvrir au hasard, une fois de temps en temps, de façon à ne pas s'exposer à une overdose de nouvelles, aussi intéressantes soient-elles. En l'absence de mode d'emploi clair et précis, les déçus de la première méthode risquent d'être nombreux.