Résumé: "Hospitalisé après une tentative de suicide, Sei se réveille sur une île apparemment désertée. Mais il découvre vite qu'il n'est pas seul du tout, et que cet endroit est en fait utilisé par la société japonaise pour se débarrasser des individus suicidaires dont elle ne souhaite plus assumer le coût. Dans cet environnement oppressant, certains mettent définitivement fin à leurs jours, tandis que d'autres choisissent de recommencer à zéro. Mais tous ont en commun une grande fragilité psychologique, et vivre ensemble, survivre ensemble, deviendra vite une lutte permanente".
L
a découverte de Suicide island remet en mémoire quelques lectures plus ou moins récentes. Ici, l’État se propose de résoudre le coût financier représenté par les soins et le suivi apportés aux candidats au suicide, a fortiori lorsqu’ils sont récidivistes. Le peu d’humanité qui reste aux représentants de la technostructure les empêche manifestement de ne pas leur porter assistance, mais, suivant le principe du « loin des yeux, loin du cœur (et du portefeuille collectif) », ils ont élaboré une autre solution : ceux qui voulaient en finir sont débarqués sur une île et… à eux de jouer. À l’abri des regards et des consciences.
Là où Ikigami (Asuka) proposait de relancer la prospérité en jouant à la roulette russe avec la population en remplaçant la balle par un faux vaccin inoculant une maladie mortelle à un enfant sur mille, Kouji Mori fait des victimes du mal-être passées à l’acte la cible de pouvoirs publics toujours prompts à, réaliser quelques économies. Pas d’injection létale, laissons-les appuyer sur la détente de leur choix. L’île, qui favorise le huis-clos au grand air, est par ailleurs un espace privilégié lorsqu’il s’agit de jouer sur l’instinct de survie, d’élaborer des stratégies de groupes constitués de parfait inconnus, de faire surgir le danger de toute part et de couper court à l’évasion. Dans un esprit proche, Battle royal (Soleil) et plus récemment L’île de Hozuki (Ki-oon) pour ne citer que deux exemples, exploitaient cette veine.
D’un lit d’hôpital où, semi-conscient, il demande à en finir, Sei se réveille sur une île coupée du monde avec quelques congénères, après avoir signé un document qui ressemble fort à une décharge. Pour certains, le sort en est jeté et leur séjour sera on ne peut plus brefs. Pour d’autres, l’issue sera différée, après « une nuit de débauche » (titre du chapitre 3), qui permet d’explorer glauques instincts primaires et voyeurisme. Enfin, les moins désespérés s’organisent, certains d’entre eux envisageant, paradoxalement, cette épreuve comme une façon de retrouver goût à la vie après s’être confrontés à leurs démons intérieurs. Le péril ne se limite en l’occurrence pas au milieu hostile. L’auteur installe donc son intrigue en livrant le regard d’un jeune déboussolé sur cette aventure et dévoile, au fil des épreuves, les personnalités et l’histoire personnelle des membres du groupe, des leaders aux suiveurs, des plus agressifs aux plus apathiques. Sans donner véritablement un frisson à faire se dresser les poils sur les bras, sans faire naître la larme au coin de l’œil ni faire serrer les poings de révolte, le cours de cette aventure d'anticipation se suit sans encombre, sans être véritablement haletant non plus. Dans un registre réaliste, la copie est « propre » elle aussi, les corps à la limite de l’anémie, laissant apercevoir ici et là quelques stigmates, tandis que les visages auraient mérité d’être un peu plus différenciés pour mieux faciliter l’identification des protagonistes.
Plus porté sur l’étude des caractères que sur le « survival », Suicide island installe posément son propos et présente ses personnages avec soin. Pour une approche psychologique ? Ou est-ce le calme qui précède la tempête ?
Les avis
Erik67
Le 01/09/2020 à 16:38:55
Suicide Island est l’une de ces séries comme Ikigami - Préavis de mort qui nous font découvrir une vision très noire et déprimante de la société japonaise d’un futur proche. On suit toujours un même mode opératoire : une analyse des possibles. L’impossibilité d’une île aurait pu être un autre titre choisi.
Le Japon se place en tête des pays avec le plus fort taux de suicidés au monde. Près de 30.000 personnes par an choisissent leur mort volontairement. C’est triste d’en arriver là car il s’agit de milliers d’hommes et de femmes qui décident d’en finir avec la vie.
Les commentateurs diront que ce sont les effets ravageurs d’une société devenue très rigide et qui a perdu progressivement les valeurs traditionnelles du passé. Les nouvelles générations sont totalement désorientées. Le manga en question traite surtout du suicide chez les jeunes ce qui est généralement un sujet tabou car cela renvoit à notre propre désaveu de ne pas avoir su bâtir une société suffisamment solidaire. Et qu’on ne vienne pas nous dire que c’est un problème typiquement asiatique. Le monde occidental n’est pas en reste. A l’heure où des politiques affirment que les civilisations ne se valent pas, il faut rétablir le sens de la vérité !
Suicide Island présente les choses d’une manière très choquante certainement pour marquer les esprits. La société japonaise expérimente un programme d’un nouveau genre : il s’agit de mettre tous les récidivistes sur une île déserte où ils sont abandonnés à leur sort comme une sorte de purgatoire. Par ailleurs, on efface toute trace de leur existence dans les documents officiels. On leur dénie le droit d’avoir existé car ils ont bafoué la valeur suprême qu’est la vie en choisissant d’y mettre un terme. Bref, on inflige une punition d’ordre légal. C’est le retour à la peine infligée aux suicidés comme cela existait autrefois au Moyen-âge où l’on les pendait pour les bannir à tout jamais.
La comparaison de cette nouvelle série avec Ikigami - Préavis de mort est évidente. En effet, dans cette dernière, il s’agissait d’infliger un vaccin de la mort sur 1.000 naissances afin de créer une prise de conscience sur la valeur de la vie. Là encore, c’est la société qui prend l’initiative. Ce qui est monstrueux, c’est qu’elle dénie le droit d’exister à celui qui soi-disant ne respecte pas sa vie. On ne regarde pas les raisons qui ont poussé ces êtres à commettre l’acte du désespoir. Une évacuation des problèmes bien pratique alors qu’il s’agirait de rendre la société bien meilleure pour éviter cette somme de drames humains qui touchent généralement les plus faibles.
Il y a un côté « Lost » dans ce manga car tous ces jeunes se trouvent sur une île bien mystérieuse. Il va falloir tenter de survivre, ce qui paraît un paradoxe. On va les priver de leur mort en les condamnant à vivre. Bref, c’est une série qui pose des questions très intéressantes et qui aborde le problème d’une manière fort originale. Il est dommage de voir tout le côté naïf ressurgir comme l’attirance du héros envers une belle suicidée comme une sorte de réponse à une sortie de crise dans l’amour. Trop beau pour être vrai. En tout cas, le lecteur réfléchira face à ses propres peurs à comment il aurait réagi dans une même mise en situation.
En conclusion, l’impression laissée sera globalement positive car le concept de base est très intéressant. On jugera par la suite car cette série a du potentiel car l’œuvre peut être plus complexe qu’il n’y paraît. Il faut juste pousser plus loin l’analyse psychologique des différents personnages. On attend par conséquent une montée en puissance.