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Il existe des lacunes dans l'histoire ou, du moins, dans la connaissance que nous pensons avoir de l'histoire. » Cette affirmation a donné l'idée à Luca Enoch de s'intéresser aux années qui ont précédé la création d'Israël. Qu'y avait-il avant et comment l'inextricable situation géopolitique dans laquelle cette région du monde baigne depuis plus de soixante ans est-elle née ? La réponse est faite d'idéologie, d'espérance et de sang.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Palestine passe sous mandat anglais. Ces derniers ont fort à faire pour maintenir un semblant d'ordre tout en favorisant leurs intérêts économiques. Au même moment, le mouvement sioniste voit en la désintégration de l'Empire ottoman une occasion rêvée d'affirmer ses droits sur « sa » Terre Promise. Par contre, si toutes les factions juives partagent un objectif commun, elles ne s'accordent pas sur le moyen d'y parvenir : la Haganah dirigée par Menahem Begin penche pour une solution politique négociée, tandis que l'Irgoun est favorable à une approche armée. De son côté, Abraham Stern va encore plus loin et préconise une guerre totale contre l'occupant britannique. Il va entrer en dissidence en créant la Lehi, un groupuscule terroriste ultra-violent qui va semer le chaos entre Tel Aviv et Jérusalem pendant plus de dix ans.
Luca Enoch (Rangaku, Morgana) raconte, quasiment en mode thriller, ces événements sanglants. La narration construite autour des souvenirs d'Avner, un compagnon de route de celui qui se faisait appeler Yair en souvenir des Sicaires (une confrérie de tueurs à gage des temps bibliques), et se déroule au moment du dernier « coup d'éclat » du groupe (l'assassinat du Comte Bernadotte, l'envoyé spécial de l'ONU). Le combattant revient sur les différents épisodes de ce qu'il pense être une croisade nécessaire. Attentats aveugles à la bombe, assassinats ciblés de personnalités et de collaborateurs supposés et hold-ups pour renflouer les caisses, les méthodes de la Lehi sont, en tout point, comparables à celles d'une association terroriste : frapper subrepticement, distiller la terreur dans le public et disparaître jusqu'au prochain coup. Ces méthodes extrêmes finiront même par isoler la bande de la base militante : Stern sera dénoncé et exécuté. Le scénariste mêle habilement précisions historiques et scènes d'action dans un récit palpitant, même si la multiplication des personnages rend parfois la lecture un peu ardue.
Aux pinceaux, Claudio Stassi (C'est pour ça que je m'appelle Giovanni, Brancaccio) fait preuve d'énormément de talent pour recréer le Moyen-Orient des années trente et quarante. Le trait nerveux, qui rappelle par moments celui de Gipi ou même de Lax pour certains visages, s'adapte parfaitement à l'urgence des situations. Le découpage, également très resserré, ajoute un niveau de profondeur supplémentaire à une atmosphère déjà plus que tendue.
Refusant toute forme de romantisme ou de dramatisation artificielle, Stern Gang présente les faits sans concession. Un roman noir qui plonge le lecteur dans les racines d'une réalité historique oubliée.