U
ne auteure se voit refouler à l’entrée d’un restaurant sous prétexte que son livre est « tout pourri ». Une femme rejoint deux enfants dans un tiroir et ne peut plus en sortir. Un groupe de jeunes filles kidnappées cherche à retrouver sa liberté. Après avoir dansé avec un militaire, une dame repart avec sa main. Une pièce de théâtre mettant en scène des étudiantes et des soldats vire au drame politique. Observant chaque soir la pièce que joue sa sœur, une adolescente assiste à son suicide et à la mort d’un roi. Plus tard, elle rallie le Brésil à la recherche de son amoureux. Pour échapper à un loup, une fillette se dissimule sous la peau d’un autre de ces carnassiers.
Entre le rêve et le théâtre de papier, Choi Juhyun entraîne le lecteur dans son univers singulier, à travers les pages étranges et fascinantes de Sous la peau du loup. Y chercher une logique serait une perte de temps tant le fil des récits qui s’amorcent et s’étiolent ressemblent aux bribes forcément incomplètes d’un songe ou d’un souvenir enfoui qui émerge difficilement à la surface. La narration débridée, déstructurée, permet ainsi toutes les fantaisies, tout en intégrant des éléments très réalistes sur la culture coréenne ou l’histoire du Pays du Matin calme. Cela est particulièrement visible dans la partie qui met aux prises les jeunes actrices et les militaires. En effet, ce qui apparaît d’abord comme une rébellion sur les planches se transforme en véritable révolte, la fiction théâtrale devenant progressivement réalité politique. Ce jeu sur les situations réussit parfaitement puisqu’on ne sait plus reconnaître l’une de l’autre. Même l’aspect très fantasmagorique de certains passages et l’impression d’oppression intime qui s’en dégage – ces femmes qui ne peuvent quitter le lieu où on les séquestre par exemple – semblent chargés d’un message crypté. Cependant, ce qui attire l’œil et guide dans cette jungle déroutante, c’est surtout le dessin à l’encre de Chine de Choi Juhyun, lequel dégage une poésie aux accents oniriques et rappelle fortement le graphisme d’une Marjane Sartrapi.
Sous la peau du loup s’avère un ouvrage très personnel, quelque peu hermétique mais qui séduit lorsqu’on s’y plonge sans a priori ni peur d’être emporté dans des ailleurs aussi étonnants que magiques.