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oe Satake est sommelier. Parmi les meilleurs incontestablement, il semble toutefois avoir abandonné les concours et la course aux distinctions qui font le sel de cette discipline. S’il ne refuse pas les défis qu’on lui lance, il souhaite surtout mettre sa connaissance du vin au service des autres, pour leur permettre de goûter au bonheur.
Après l’apprenti-boulanger Kazuma de Yakitate Ja-pan ! découvert il y a quelques mois, voici donc l’occasion d’apprécier une série dédiée à une profession des arts de la table. Et à chaque fois on se demande bien comment un scénariste va pouvoir se renouveler autour de ce type de thème une fois épuisée la traditionnelle dimension sportive qui met à l’épreuve les connaissances de l’expert. Sommelier n’est d’ailleurs pas avare en tests à l’aveugle qui permettent d’exposer le talent de Joe et la précision dont il fait preuve force l’admiration. Heureusement, il n’y a pas que cela et les auteurs ne cèdent pas non plus à un autre travers prévisible : le recours au légendaire vocabulaire imagé est utilisé sans excès. Car il en est comme du vin comme du jazz pour lequel, à force de zèle, les spécialistes donnent parfois dans le bavardage abscons en oubliant l’essentiel : la vacuité, l’inutilité de vouloir traduire en mots ce qui touche au plaisir, à l’émotion ressentie.
Grâce à des intrigues simples mais agréables à suivre (dans le tome 1 la quête de la dive bouteille qui le rapprocherait du souvenir de sa mère qui l’avait initié au plaisir du vin, dans le tome 2 la volonté de renverser des situations difficiles traversées par des personnes qui semblent en valoir la peine), Sommelier mise sur l’humanité plutôt que sur la technique. Joe Satake a beau paraître bien jeune, son vécu et son sens de l’observation façonnent son parcours et apportent du réconfort à ceux qu’il croise. Les auteurs ne manquent jamais de rappeler que « c’est l’homme qui fait le vin » et pas seulement un cépage, un terroir et des techniques. Le lecteur n’est jamais dépassé par les quelques éléments didactiques, nécessaires, qui agrémentent les chapitres, bercé qu’il est par l’évocation et la description de ces crus qui font rêver et qu’il aimerait tant, rien qu’une fois, goûter. Même si rares doivent être ceux qui atteignent le niveau de connaissance des « simples » clients des restaurants dans lesquels officie le sommelier. La mise en scène est vivante, et chapeau également au dessinateur pour réussir à présenter les séances de dégustation sans donner l’impression d’une litanie aux airs de déjà-vu.
Les amateurs de vin et de bonne chère devraient se laisser porter par ce manga qui ne manque pas d’intérêt. Les buveurs d’eau, sourire en coin, passeront probablement leur chemin, vite rejoints par les amateurs de bacchanales furieuses. Car il est finalement bien sérieux Joe Sakate, et concentré sur son art. Le tombeur qui cueillait les jeunes femmes comme les raisins mûrs en période de vendanges dans les premiers « vintages » (nom donné aux chapitres) s’assagit bien vite. Pour ménager un lecteur qui ne saurait plus à quelle griserie se vouer ?