Le 14/10/2025 à 22:16:59
::: Cet avis comporte des (mini) spoilers ::: À la fin d’un XVIIème siècle ténébreux, deux jumeaux, Helma et Hans, voient le jour au cœur du Saint Empire Romain Germanique. Nés dans la misère, ils sortiront peu à peu de leur condition au cours d’une longue quête initiatique jalonnée de rencontres. Leurs destins se forgeront par la musique et le chant, qui les inspirent depuis leur plus jeune âge. Hans y trouvera le moyen de s’élever socialement, Helma d’atteindre le sublime et de toucher au divin. Le lecteur suivra leurs pas d’Amsterdam à Venise, dans l’ombre de Vivaldi ou Jean-Sébastien Bach, que l’on reconnait aisément sous leurs noms d’emprunts. En effet, les personnages ou les lieux authentiques sont tous réinventés. Le procédé est habile, puisque en se teintant d’imaginaire, « Soli Deo Gloria » prend la liberté de devenir une fable, tout en gardant la richesse et la profondeur de la réalité. Porté par ce solide contexte historique, Jean-Christophe Deveney utilise le même dispositif narratif que dans le très beau « Géante » : la chronologie est séquencée en neuf parties, qui correspondent aux temps-clés de la vie des jeunes protagonistes. Chaque chapitre présentant un temps, un lieu et des personnages différents. C’est très efficace et cela renforce beaucoup le côté épique de cette extraordinaire aventure. A côté de la thématique musicale, omniprésente, J-C Deveney développe aussi des sujets puissants comme l’orgueil, l’ambition, le sacrifice, l’abnégation. Autant de difficultés que les deux jeunes héros devront affronter. Les deux maestros qu’il met en scène, Aldiviva et Sach (Vivaldi et Bach) agissent comme deux reflets d’Hans et Helma. Ils symbolisent deux visions diamétralement opposées : l’un est reconnu, riche, narcissique, mondain, courtisé, honoré. Le second est humble, besogneux, effacé, entièrement dévoué à son art, ne créant que pour la seule gloire de Dieu, « soli deo gloria » en latin. Les jumeaux, obéissant malgré eux à ces aspirations divergentes, verront leur lien durement mis à l’épreuve. Mais il est temps de parler d’Édouard Cour ! Pour illustrer ce conte, à la fois sombre et lumineux, il a réalisé une partition graphique en tous points exceptionnelle. Ouvrez cet album et feuilletez-en quelques pages pour en être convaincu. Chaque planche est un monde. Avec une maitrise parfaite, il compose un dessin délicat, fourmillant de détails, texturé par une trame mécanique très fine qui donne une profondeur incroyable à ses décors. Ses nuances de gris, notamment, sont d’une grande complexité et luisent d’une inquiétante lueur gothique. Associé à un noir et blanc qui joue souvent d’un clair-obscur expressionniste, l’ensemble est d’une beauté à couper le souffle. Autre tour de force, l’auteur parvient à incarner la musique, à la rendre vibrante. Il la matérialise à l’aide de filaments colorés qui, tantôt griffent les cases, tantôt les caressent en de délicates volutes. Des touches de couleurs, parfois presque invisibles, qui donnent tout son sens à l’univers visuel. Avec « Soli Deo Gloria », Édouard Cour fait encore mieux que son génial « Herakles » et compose son chef d’œuvre. 5 étoiles alors ? Mmmm… non. Disons 4,2 / 4,3. Car sans ternir les qualités de cet énorme et admirable travail, j’y apporterai quelques nuances. Au final j’avoue ne pas avoir complètement saisi tout le sens de ce périple. J’en comprends bien sûr l’intention, mais le propos est un peu trop timoré à mes yeux, trop timide pour en ressentir de l’exaltation. J’aurais aimé frissonner davantage. J’aurais aimé être surpris, choqué même, par ce que le ressentiment de Hans pouvait l'amener à faire, par exemple. J’ai trouvé qu’il manquait la dimension obscure du génie. À l’inverse, un personnage trop pur, tel qu'Helma est présentée, ne pèche-t-il pas par excès d’angélisme ? Par conséquent, le dénouement aurait gagné à déjouer sa morale vertueuse et dogmatique. Enfin, tout le scenario baigne dans une religiosité martelée, en dehors de laquelle rien ne semble exister. C’est évidemment justifié dans ces âges où le sacré était la norme. Mais on a souvent l’impression que c’est la foi qui prime sur l’humain et moi, je préfère l’humain à la foi. Mais c’est personnel. Il me fallait faire ces réserves dans un souci d’objectivité. Il n’en reste pas moins que cet album est absolument splendide. Dupuis a vraiment soigné son édition. 280 pages grand format avec signet et dorures, sans compter les portées de chaque côté des pages dont les notes désignent les chapitres, plus le beau papier à effet vieilli. Le tout pour un prix raisonnable. Les qualités l’emportant largement sur les défauts, je recommande de le lire absolument, c’est à n’en pas douter un des albums de l’année.BDGest 2014 - Tous droits réservés