Résumé: 1937, Tchécoslovaquie. Bohumil Balda est architecte dans la petite ville de Hradec Králové, non loin de la Pologne. Passionné par son métier, il suit les principes de l’architecture moderniste et tente d’insuffler une forme d’avant-garde dans tous ses projets. Balda se méfie comme de la peste des nazis et de leur rhétorique anti-moderniste, d’autant plus que son propre beau-père, qu’il exècre, est affilé au parti National-Socialiste. Mais Balda se voit confier des travaux de plus en plus importants par la direction locale du NSDAP et alors qu’il réalise les premiers projets à son corps défendant, il bascule progressivement, fasciné par les projets délirants et grandioses du régime nazi. Il en vient à concevoir un bâtiment spectaculaire, une salle géante pour les allocutions des dignitaires nazis, le Soleil Mécanique, qui va provoquer sa disgrâce et sa chute finale.
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uand une ligne cesse-t-elle d'être un trait abstrait pour incarner l'horizon... ou un simple mur ? Que faut-il pour qu'un cercle devienne roue, soleil ou œil ? Comment un hexagone, auquel on ajoute un cercle et deux traits peut-il devenir un être humain ? C'est le tour de force réitéré par Lukasz Wojciechowski dans Soleil Mécanique, un an après Ville Nouvelle.
Réalisé entièrement par Autocad, cet album semble de prime abord très froid. Ce logiciel de dessin assisté par ordinateur est principalement utilisé dans l'ingénierie ou l'architecture pour la conception de plans ou de schémas complexes. Autant dire que le trait qui en résulte possède la rigueur et la précision clinique d'un tracé technique. La mise en page très contrôlée possède la chaleur d'un circuit électrique. Et pourtant, il suffit de quelques degrés d'inclinaison judicieusement appliqués pour suggérer la joie ou la peine, la frustration ou le contentement.
Soleil Mécanique n'a donc rien de robotique. Au contraire, il dresse un portrait saisissant du lent aveuglement de son personnage principal. Bohumil Balda est un architecte moderniste. Dans la Tchécoslovaquie de 1937, il se veut à la pointe de sa discipline et se montre plus que critique envers le nazisme. Par le prisme de son métier, il y voit une vision rétrograde, à mille lieues de ses propres aspirations. Mais lorsque, par l'entremise de sa belle-famille, sympathisante de la première heure, il est commissionné par le parti, il se laisse progressivement séduire.
Architecte lui-même, l'auteur n'a pas choisi son sujet par hasard. Il s'appuie sur le rôle d'Albert Speer, chargé de façonner une image "monumentale" de Reich et évoque la fascination qu'elle pouvait (devait ?) engendrer, tout en décrivant comment certains se sont complaisamment laissé aller à se soumettre à l'innommable. Le choix des mots n'est jamais innocent et ceux utilisés lorsque est décrit le "soleil mécanique" qui donne son titre à ce livre, il est difficile de ne pas frissonner.
Jouant de la symbolique du soleil, élément central de la vision du héros, avant d'en devenir cause de disgrâce, l'auteur compose une satire féroce, non sans une pointe d'humour doux-amer qui n'est pas sans rappeler Sempé. Il ne faut pas être un féru d'architecture pour apprécier son récit, ni être un afficionado des expérimentations graphiques, comme pourrait le laisser supposer un feuilletage rapide. Soleil Mécanique est un ouvrage extrêmement accessible, intéressant et très audacieux dans sa forme, mais qui ne néglige pas la lisibilité.