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out au fond d'une forêt inextricable, dans une immense maison labyrinthique, vivent un petit garçon et sa famille. Une famille qui se révèle pour le moins inquiétante. En effet, la grand-mère se prend pour une poule, vit dans un nid et couve les oeufs que lui apporte son fils. La belle-fille prend plaisir à masser le furoncle de son beau-père avec de l'oeuf, et sa fille s'occupe d'une manière toute personnelle des vers qu'élève le père. Reste le cadet, un petit voyeur, mais le seul être sain d'esprit de la maison. Il cherche d'ailleurs souvent à s'en échapper, mais en vain, tant la forêt se révèle infranchissable. Mais il craint moins sa famille que la malédiction qui peut la frapper à tout moment, si quelqu'un passe à travers l'énorme miroir se trouvant au milieu d'un couloir de la maison et parvient à ouvrir la chambre close. Si cela se produisait, qui sait ce qu'ils endureraient...
Hideshi Hino nous offre un conte sanglant et étrange avec Serpent Rouge. Grâce à un trait non réaliste mais qui marque et qui tape juste, l'auteur dresse avec un humour noir très présent une galerie de personnages tous plus pervers et dégénérés les uns que les autres. Comme dans Panorama de l'enfer, paru au même moment chez le petit éditeur IMHO, Hino s'intéresse avant tout à l'humain, et cherche à montrer la nature profonde de l'homme, en l'enlaidissant, en grossissant et déformant tout. Pas de personnage positif chez Hino, il prend un défaut et le grossit jusqu'à ce que le lecteur ne voie plus que lui. Même le personnage principal, le petit garçon, est décrit sous la plume acerbe de Hino comme un petit voyeur lâche et responsable de tout les maux futurs de sa famille. L'homme est coupable, intégralement coupable, chez Hino.
L'originalité du travail d'Hideshi Hino se trouve dans l'état de départ de ses personnages. Alors que la plupart des récits d'horreur se déroulent dans un univers normal et rationnel, pour ensuite basculer vers l'étrangeté, les personnages d'Hino naviguent dès le début dans un monde cauchemardesque et bizarre, mais la plupart ne semblent pas s'en rendre compte. Pour eux, la vie de tous les jours réside dans cette vision horrible, et même si la situation empire, ils ne semblent pas vraiment s'en soucier, tout juste cela bouscule-t-il leurs habitudes. Il n'y a que le fils de la maison pour trouver étrange le monde où il vit. Ce décalage de perception, et le fait que ce jeune garçon soit à peu près le seul personnage "normal" du récit, de même que son incapacité à s'échapper de la maison, amène certaines réflexions. Ce monde labyrinthique ne pourrait-il pas être le cerveau malade du jeune garçon, qui essaye de s'échapper sans trop persévérer, néanmoins? Et cette chambre close serait-elle le reste du monde, une sorte de "sortie intérieure" vers un univers plus horrible encore que celui dans lequel il est confiné?