Info édition : Mention "N001" au 4ème plat. Avec jaquette illustrée. Adaptation graphique : Hinoko.
Résumé: Sur le front chinois, Kawashima, fraîchement catapulté à la tête de son escouade, avait interdit à ses jeunes recrues de courir vers une mort stupide... Seul Kuroda et lui sont rentrés vivants au Japon. Comment faire face alors aux familles des camarades défunts ? Comment continuer à vivre malgré tout ? Chacun fait face ici une ultime fois à ses fantômes et à ses choix.
L
’histoire des deux anciens soldats à la dérive touche à sa fin dans ce septième tome intitulé Adieux .
Ce manga est une plongée dans les souvenirs de guerre de Toku Kawashima, suite à sa rencontre avec son ex-lieutenant Okabe. L’origine de ses liens avec Kadomatsu est explicitée : ils sont les seuls survivants de leur unité. Adieux clôture la série de manière dramatique et réaliste, avec une petite touche d’espoir sur la fin.
Cette « Bromance dans les ruines de Tokyo » (selon le Kadokawa Shoten) est incontournable dans le registre historique, puisque son thème est peu traité dans la bande dessinée. En effet, dans plusieurs interviews, dont celle livrée au magazine Atom, Sansuke Yamada évoque le constat qui l'a amené à créer Sengo. Il s'est intéressé durant ses années d'étudiant à la période après-guerre et à l'histoire de l'occupation du Japon et il a constaté que les mangas traitant de cette période sont extrêmement rares, contrairement à ceux évoquant la période suivante dite du miracle économique. Le mangaka décide alors de se lancer dans ce récit, avec une exigence de précision historique. Le lecteur avisé le remarquera dans les détails comme l’armement ou les uniformes, mais aussi les paysages réalisés à partir de photographies. Ce travail de préparation fait de Sengo un manga historique honnête et sans pathos.
D’ailleurs, ce dernier tome est l’occasion pour l’auteur de montrer les exactions commises par les troupes japonaises : violences, viols, déportations des femmes pour alimenter les bordels militaires (les « femmes de réconfort »), exécutions sommaires, utilisation du contexte par les supérieurs pour se faire de l’argent… Il en profite également pour présenter la manière dont les hiérarchies considèrent les simples soldats. L’ensemble contribue à briser cette idée reçue d’une armée endoctrinée et totalement soumise à l’Empereur. L’omniprésence de la guerre dans cet opus renvoie au traumatisme vécu par Toku tout au long de la série. Ce petit gradé issu de la bourgeoisie a une autre vision des choses que celle de ses hommes. Il vit mal la brutalisation et cet opus apporte les clefs de compréhension à cela.
Sengo est un manga sur un point d’histoire peu enseigné et médiatisé : la démobilisation. Selon certains historiens de la Seconde Guerre mondiale, cette dernière se fait en trois phases : la militaire, la politique (et judiciaire avec les procès) et la mentale. La série met l’accent sur le dernier temps. Comment reprendre une vie normale après avoir connu l’enfer ? De nombreux soldats se sont posés cette question et se la posent encore, Toku aussi. Le travail de préparation, évoqué précédemment, a permis au mangaka d’explorer ce thème magistralement. Le débonnaire Kadomatsu poursuit sa vie de débauche, Kawashima est mentalement resté avec les fantômes de son escouade et cherche sa rédemption, qu’il trouvera dans Adieux.
Le dessin de Yamada sert admirablement son récit. Son style n’est jamais édulcoré sur les scènes de violence en réussissant à ne pas tomber dans le voyeurisme. Le trait passe aisément d’un rendu réaliste à quelque chose de plus léger ou plus sombre sur les planches.
Un manga réfléchi et passionnant sur l’immédiat après guerre au Japon vu à travers deux anciens soldats. Sengo mérite d’être lu par les amateurs d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi par les amateurs de belle histoire.