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ais que font Don Cordoba Igual de la Villarubias et Zangra, son (pas très) fidèle valet, perdus au milieu du désert ? Le premier nommé est un "Grand d'Espagne", fervent catholique et admirateur invétéré de saint Augustin. L'autre est juif, très respectueux de la Torah et de ses préceptes. Les deux hommes sont au bord de l'épuisement et cherchent en vain un moyen d'étancher leur soif. Surgit alors de nulle part Cahouet, ainsi que son chariot rempli de boissons désaltérantes et de pâtisseries appétissantes. Lui est musulman et possède un sens inné des affaires. Pas question de céder la moindre goutte d'un de ses précieux breuvages sans contrepartie financière ! Le problème est que les poches de Don Cordoba et de Zangra sont désespérément vides...
Quel changement de cap après Aziyadé ! Passer d'une histoire d'amour façon "Roméo et Juliette" à une rencontre incongrue et très machiste de trois hommes de foi, de décors rappelant sans cesse les charmes de l'Orient à ceux, ô combien plus épurés, d'un désert hostile, de couleurs envoûtantes à une bichromie tirant vers le jaune... Le nouvel album de Franck Bourgeron a de quoi surprendre.
Prenant appui sur des faits d'une extrême simplicité, l'auteur concentre son récit sur les dialogues des trois (puis quatre) uniques protagonistes. La fantaisie religieuse prend forme au fil des pages, en s'appuyant sur le prosélytisme du catholique, les velléités de rébellion du juif qui en a assez de sa modeste condition de valet et la naïveté feinte du musulman qui parvient à tirer profit de la situation. Quelques bons mots, un humour un peu décalé, une poignée de scènes cocasses, cela suffit-il à habiller correctement un album de plus de 120 planches ? Doit-on se laisser aller à en déduire une morale bien légère basée sur la futilité des opinions et des querelles religieuses face à des besoins vitaux comme la faim ou la soif ? Il faut malheureusement se rendre à l'évidence tant la curiosité suscitée par l'originalité du thème laisse rapidement place à une certaine lassitude. Au fil de la lecture, les sourires se font plus rares et les débats, interminables, deviennent presque indigestes.
La Sainte Trinité ne devrait pas déchaîner les passions ni déclencher le retour de l'Inquisition ou la rédaction d'une fatwa. Tout au plus amusera-t-elle, quelques instants, les amateurs de satires très sages, baignant dans un fond de miel plutôt que dans le vitriol.