C
omment décrire l'indicible ? Comment raconter en quelques dizaines de pages l'horreur d'un génocide qui aurait fait, en trois mois, plus d'un million de victimes ? De ses voyages au Rwanda en 2002 et 2003, Cécile Grenier a rapporté en France de nombreux témoignages, mais surtout une irrésistible envie de faire connaître au grand public ces paroles, celles de survivants à l'un des plus grands massacres du siècle dernier. A travers l'histoire de Mathilde, une jeune Tutsi mère de trois enfants, exilée et persécutée, l'auteure évoque cent jours de haine, de tortures et de tueries incessantes qui transforma le pays en un immense charnier.
Juin 1994. Le FPR (Front Patriotique Rwandais), composé de Tutsis, continue d'avancer vers Kigali, la capitale, affrontant les soldats hutus des FAR (Forces Armées Rwandaises). Pendant ce temps, les rescapés tentent de survivre, de recomposer des familles éclatées et décimées. Paul, le fils de Mathilde, prend la tête d'un petit groupe d'enfants, essayant d'organiser dans une école désaffectée et jonchée de cadavres un retour à la vie normale. Après avoir échappé de peu à la mort, il doit dorénavant faire face aux risques de choléra, éviter les mines antipersonnel disséminées tout autour de son abri de fortune, et trouver de quoi se nourrir. Loin, au Zaïre, Mathilde est prisonnière de réfugiés hutus qui tentent de se soustraire aux représailles des membres du FPR. Violée, meurtrie, elle semble sans ressources morales, sans volonté. Jusqu'au jour où des nouvelles de son fils disparu lui parviennent enfin. L'espoir renaît, et à travers le sien, celui de tout un peuple.
Cécile Grenier revient aussi sur le rôle, très controversé, joué par le gouvernement français durant cette période. Après le retrait de l'armée belge au début du conflit, les Nations-Unies organisèrent l'opération Turquoise de juin à août 1994, censée protéger et venir en aide à la population. L'auteure insiste sur l'ambiguïté des interventions de l'armée tricolore, sur les exactions commises par certains de ses soldats ainsi que son soutien, clairement affiché, en faveur des FAR. Rappelons également qu'à l'époque, de nombreux Etats jouaient de circonvolutions afin de ne pas employer le terme de "génocide" qui les auraient obligés à intervenir.
Il serait difficile de reprocher à l'album un trop-plein de noirceur tant les événements relatés n'incitent pas vraiment à la joie et l'allégresse. Dès les premières pages, c'est une véritable plongée dans l'horreur que l'auteure propose, pour n'en ressortir, difficilement, qu'une fois le tome refermé. Difficile aussi d'évoquer toute notion de plaisir de lecture, mais plutôt de l'émotion ou du respect face au travail d'investigation accompli. Si la narration est parfois un peu brouillonne, si le dessin est quelques fois approximatif, Le Camp de la Vie est un témoignage poignant, un ouvrage de très bonne qualité.
Malgré l'indifférence quasi-générale manifestée à l'époque, le génocide des Tutsis a été officiellement reconnu plus tard par l'ONU, au même titre que celui des Juifs et des Tsiganes commis par les Nazis. Pour se souvenir ou bien pour apprendre, la lecture de Rwanda 1994 permet de garder un lien avec l'un des événements les plus atroces du siècle dernier.