V
este noire, chapeau haute-de-forme et allure rigide, il marche. Au travers d'une campagne agitée par les élections municipales et les soucis agricoles, il marche. Se joignent peu à peu à lui, un chien, un enfant, des curieux, un maire puis toute une troupe qui se fait et se défait le long du chemin. Et lui continue de marcher, sans un mot, pendant qu'enfle la rumeur sur ce personnage énigmatique : expert agricole ou candidat parachuté ?
Enfin Libre (Philippe Renaut et David Barou) devient peu à peu le spécialiste du concept du graphique continu en bande dessinée. A l'image d'un Marc-Antoine Mathieu, il se joue des codes visuels et explorent toutes les possibilités offertes par ce support. Après Le fluink, opposant la vision positif/négatif d'une civilisation étrange, La rumeur utilise le principe, déjà développé par Garcia et Trondheim dans Les trois chemins, de la continuité du récit. Fini les cases, les pages se succèdent en un long défilé ininterrompu déroulant les kilomètres. La rumeur est un long fleuve tranquille présenté sous la forme d'une balade muette parsemée d'une nuée de palabres aussi papillonnantes et vibrionnantes qu'inutiles. L'impassibilité de l'homme en noir contraste avec le vacarme ambiant et aiguise la curiosité. C'est un art de susciter l'intérêt de la sorte.
Au-delà du travail réalisé sur cet album, sa représentation ainsi que ses vecteurs humains qui vont et viennent sont bluffants. Improvisation ou réelle construction élaborée, la multiplicité des allers-retours des différents protagonistes est orchestrée de main de maître, telle un ballet incessant. Les uns vont pendant que les autres viennent et vice versa. Cela relève d'une grande maîtrise de l'art séquentiel, qui n'a par ailleurs plus réellement de séquence ici. Graphiquement le trait est édulcoré de nombreux détails et pourtant l'ombre de Franquin, celui des Idées noires et des signatures, semble planer. Est-ce l'ambiance, le noir et blanc ou la nature parfois proche de la "patte de mouche" qui troublent la perception ? Peut-être, le résultat n'en est pas moins étonnant et savoureux.
La rumeur est-elle confirmée ou non ? Mystère ! Mais une rumeur peut-elle longtemps exister si l'on commence à en dévoiler ne serait-ce qu'une infime parcelle ? Assurément non, donc laissons la courir.
A ce propos, il parait que le collectif Enfin Libre travaille déjà sur d'autres projets…
Les avis
Erik67
Le 05/09/2020 à 13:54:38
Elle court... elle court la rumeur. A l'image de cet homme vêtu de noir avec son chapeau haut de forme qui parcourt silencieusement nos campagnes entraînant avec lui une foule d'admirateurs ou de détracteurs. Que fait-il ? Qui est-il ? Où va-t-il ? Nous n'aurons pas toutes les réponses à ces interrogations puisqu'il semble bel et bien muet comme une carpe.
C'est vrai que le procédé est à l'image d'un clip tourné caméra à la main sans perdre la moindre parcelle dans la progression du bonhomme omniprésent mais absent. Techniquement, c'est très inventif. On ne pourra que féliciter l'auteur pour une telle prouesse graphique et son originalité.
Pour autant, c'est amusant au début puis cela devient assez pesant à la longue. On écoute tous ces bavardages incessants sur la politique ou encore les sectes sans compter les petites histoires personnelles qui se mélangent. A la fin, on ne trouvera pas vraiment de sens à cette allégorie sur la rumeur. Ou plutôt oui : la rumeur tue.
DixSept
Le 27/11/2009 à 20:35:49
Au fil des pérégrinations d’un illustre inconnu, un village, une campagne, une ville, un pays entament une longue marche pour finir…. au bord du précipice !
Enfin libre (!) nous offre un véritable bijou de dérision et d’humour (noir).
A lire absolument pour apprécier la justesse du trait et des propos qui loin d’être caricaturaux sont d’une hallucinante vérité pour qui sait écouter autour de lui.
virgendelbrezo
Le 27/03/2008 à 18:30:14
Encore et toujours le même couple dessinateur/scénariste qui décrivent avec poésie et clarté la marche implacable d'un homme en noir. A sa lecture, on est malgré soi piégé dans une mise en abyme ou nous sommes spectateurs des spectateurs. Encore une fois, le plan est original, un grand bravo. Un seul mot: à quand le prochain chef d'oeuvre???