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oute des maisons rouges se trouvent six lieux de plaisir (ou de perdition, à chacun son jugement). Le gouverneur a décidé qu’une de ces « maisons » devait fermer ses portes pour implanter un futur casino. C’est au maire d’appliquer cette décision qui ébranle la petite communauté qui peuple l’endroit. Lequel choisir ? Le cloaque de luxe qui aura engrangé le moins de recettes à la fin de l’année devra céder la place. La compétition est ouverte. Place aux règlements de compte et aux querelles intestines. Mais dans le milieu du vice, les dés ne sont-ils pas toujours pipés…
Le cul entre deux poufs, c’est l’impression que laisse constamment ce 1er tome de la Route des maisons rouges. C’est pourtant avec un œil bienveillant qu’on plonge dans l’ambiance de cet album qu’il serait si facile de flinguer. Clichés de pin-ups au kilomètre, scénario probablement indigent, réalisation sans caractère : la palette du bourreau expéditif qui survolera les planches à la va-vite était facile à constituer.
Mais l’intrigue de départ est plutôt séduisante, l’idée de voir ces dames de petite vertu se tirer la bourre pour sauver leur fond de commerce est prometteuse en situations cocasses. Des bimbos peu avares de leurs charmes et ne reculant devant rien pour arriver à leurs fins, c'est largement suffisant pour une comédie coquine.
Las, le scénario ne tient pas ses promesses aussi épaisses qu'une lanière de string et, contrairement aux donzelles, est franchement mal foutu. Comme un film érotique transalpin du siècle dernier, il accumule les scènes sans trop se soucier de donner du corps à son déroulement ou de monter en intensité. Ça papote, ça se lamente, ça se confie, ça piaille, ça vitupère, ça se chamaille au cours de scènes qui dépassent exceptionnellement deux ou trois planches. Sur un rythme haché, se succèdent alors un aperçu de chaque palais thématique de la débauche qui donne un petit côté de parc d’attraction à cette place de village, des étreintes répétitives entre amantes, une dose syndicale de SM et quelques altercations entre mères maquerelles fortes en gueules, en caractère et en mensurations larger than life. L’ensemble se découvre sans déplaisir mais l’intérêt, comme le reste, est en berne.
Ce n’est pas non plus la faute au graphisme, pas déplaisant non plus, conforme aux canons proposés depuis quelques années par des studios italiens qui tâtent à la fois de la planche et l’animation (les péripéties d’Elisabeth sur le mode monte-en-l’air façon Une chatte sur un toit brûlant en sont particulièrement symboliques). Corps tout en rondeurs et en galbes, cambrures à rendre fou un rhumatologue digne de ce nom, tenues indécentes, lumières surnaturelles, séances d’habillage-déshabillage des poupées aux yeux en amandes surchargés de khôl et mascara. Rien ne manque dans le genre, au point qu’il y en a un peu trop parfois pour pouvoir respirer à pleins poumons et reprendre un bol d’air entre les sautillements d’un récit finalement bien sage et peu consistant.
Prévisible ? Sans doute. Être déçu par la Route des maisons rouges doit correspondre à une marque de naïveté sans nom. Depuis quand un défilé de jolis filles doit-il s’embarrasser d’une histoire cohérente et se soucier de ne pas sombrer dans la répétition et la monotonie ? Quoique… ça doit pouvoir faire un fantasme d’amateur de BD qui se tient…