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rnest est atteint de la maladie d'Alzheimer. Sa famille a pris la décision de le placer dans une résidence pour personnes du troisième âge. Il va devoir affronter seul sa nouvelle vie, apprendre à connaître d'autres personnes. Il découvrira la dure réalité d'un quotidien très monotone rythmé par les prises de médicaments, les siestes et les repas. Il redoutera, comme tout ses congénères, le dernier étage, celui où sont emmenés ceux qui sont devenus dépendants.
La couverture et le titre d'un album sont essentiels pour attirer le lecteur, les auteurs le savent bien. Alors lorsque le titre et le dessin qui l'accompagne semblent en opposition, on s'interroge. Comment cet album va-t-il pouvoir concilier à la fois la jeunesse parfaitement illustrée par ce voyage en train et ces plis du visage qui au contraire symbolisent clairement la vieillesse. Jeu de mots involontaire ou véritable clin d'oeil de la part de l'auteur, c'est du côté de la langue anglaise qu'il faut chercher un élément de réponse, car cette association trouve tout son sens dans une des traductions du mot : voyage, tour, dans un véhicule, un car, un train.
Cet album pourrait presque se résumer à cette définition car la maladie d'Alzheimer touche en premier lieu la mémoire immédiate causant une amnésie. Que reste-t-il alors ? Et bien, les nombreux souvenirs acquis au cours d'une vie. Lorsque ces derniers ressurgissent on a l'impression que les personnes touchées vivent ou revivent leur passé. C'est le cas d'Ernest. Parler de la vieillesse n'a, au premier abord, rien de bien attrayant. C'est pourtant le sujet de l'histoire remarquable imaginée par Rabaté avec Les Petits Ruisseaux où il porte un regard emprunt de beaucoup de tendresse sur l'amour chez les personnes âges. C'est également le cas avec celle-ci, où Paco Roca aborde un sujet plus délicat, celui des difficultés engendrées par cette maladie pour l'entourage mais surtout pour ceux directement concernés. Il nous invite à suivre Ernest lors de son placement dans une maison de retraite et relate son quotidien avec des anecdotes toutes aussi vraies les unes que les autres. C'est cela qui donne cette force et cette authenticité à ce récit, elles sont toutes très touchantes, parfois drôles, vues avec ce regard extérieur, parfois tristes car la réalité l'est souvent avec ces journées qui se suivent et se ressemblent. Au fil des pages, Roca invite à suivre Ernest et sa mémoire qui s'en va par bribes, al façon dont s'organise le temps lorsque la mémoire fait défaut, quand les gestes simples demandent beaucoup d'efforts.
La simplicité du dessin, les décors épurés et les couleurs utilisant des aplats avec pour seul effet quelques jeux d'ombres, donnent au récit une douceur et une légèreté que le sujet n'a pas. Ce choix a pour effet de rendre l'ensemble très agréable permettant ainsi de dédramatiser une situation qui l'est inévitablement. Cela permet également à Roca de jouer habilement avec les pans de leur passé que revivent les différents protagonistes de l'histoire en mêlant les personnages et les époques. L'ensemble est très réussi.
Avec Rides Paco Roca traite un sujet jamais développé en bande dessinée et surtout d'oser faire un album avec un thème, a priori, peu porteur. Force est de constater que le pari est réussi et qu'il mérite que l'on fasse plus que s'y attarder tant l'histoire est à la fois légère et profonde. Une nouvel album de qualité à ajouter à la belle collection Mirages des Editions Delcourt.
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Les avis
Erik67
Le 01/09/2020 à 10:58:30
J'ai découvert assez tardivement cet auteur espagnol. Désormais, je peux affirmer sans la moindre hésitation qu'il serait le meilleur auteur espagnol que je connais. Chacune de ses oeuvres m'a donné un aperçu à chaque fois différent de son immense talent. C'est dire !
Avec rides, j'ai été littéralement attendri. J'ai eu également peur. La peur de vieillir, de devenir sénile, de perdre toute indépendance et autonomie. Dans ces moments, on se dit qu'on aimerait mourir jeune pour ne pas finir abandonné dans une maison de retraite.
Le constat fait par l'auteur est sans appel. Il nous montre une réalité sans détour, sans pointe de romance qui ferait passer la pilule. C'est abordé notamment (et pas que) sous l'angle de la maladie d'Alzheimer qui frappera de plus en plus de monde dans le futur avec le vieillissement de la population.
Aujourd'hui, j'ai lu sur Internet qu'une géorgienne habitante dans un village de montagne serait née en 1880 et aurait près de 130 ans aujourd'hui si les documents officiels le confirment bien entendu. Cela serait la plus vieille humaine au monde. Et dire que Jeanne Calmant est morte âgée de 122 ans. Cela laisse également de la marge sur ce qui nous attend!
Pour en revenir avec cette lecture, j'ai bien entendu apprécié les premières pages qui traitaient le problème avec un certain humour. Perdre la mémoire et se croire dans une autre situation du passé peut avoir un côté rigolo. Cependant, à force et à mesure que le récit avance, cela devient plus grave. Les effets de la dégénérescence sont abordés dans toutes leurs extrémités.
Je ne crois pas que le but de l'auteur était que nous éprouvions de la pitié pour ces malades. Bien sûr, éprouver de la compassion est tout à fait normal. Cependant, il voulait nous montrer le mécanisme, le regard des autres, la prise de conscience de cette maladie ... Quelques fois, il va trop vite en effet notamment dans la progression de ce mal qui ronge la mémoire.
J'ai bien aimé une scène en particulier où l'un des malades plongés dans un mutisme total se souvient de son passé grâce à un seul mot qui a une profonde signification pour lui.
Rides est véritablement une oeuvre profonde et émouvante. Elle m'a laissé un goût assez triste. Elle me dit aussi qu'il faut savoir profiter de la vie à chaque instant. Tant qu'on le peut encore ! Cette lecture ne sera pas facile car le sujet n'est pas marrant et il n'y aura aucun angélisme de bon aloi. La réalité pure ! C'est ce qui rend cette oeuvre si poignante !
adplower
Le 07/02/2009 à 13:02:49
Un excellent album, plein de compréhension, de justesse et de pudeur sur la perte de souvenirs, la perte d'identité, la perte de soi.
La "descente aux enfers" d'Ernest, aux prises avec sa maladie qui l'agresse, l'empêche de vivre avec SA dignité.
A lire pour comprendre, et tenter de se mettre à la place de ces personnes quelques fois seules, isolées, qu'aucun médicament ne peut réellement aider.
Sublime.
zaaor
Le 03/01/2008 à 02:22:36
Pour tous ceux qui ont un parent âgé qui commence à dégénérer ou se trouve en
état de sénélité, ce one shot devient très émotif.
Les planches sont très belles et malgré la simplicité tout s'y trouve et l'émotion se
trouve au bout du trait, du crayon.
Les dernières pages sont majestueuses et démontrent avec une légère morale
non contraignante qu'on a toujours besoin de quelqu'un d'autre.
Bravo, du bon travail!
sbcpitbull
Le 30/03/2007 à 21:56:31
La dégénerescence et l'âge avancé des patients de gériatrie font parfois oublier que ces personnes ont eu une histoire, une famille, des amours et des désirs comme chacun de nous.
Parfois la maladie nous donnent l'impression à nous autres personnes plus jeunes l'impression de connaitre leurs besoins et leurs pensées.
Cet ouvrage est un hymne à l'amour pour ces gens qui se cherchent et se voient doucement sombrer vers le néant et l'oubli.
Un ouvrage magnifique, bouleversant et pour moi qui suis paramédical un ouvrage à méditer!
Quand la bande déssinée n'est plus un loisir mais est éducation!