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i>Retranchés fonctionne sur un schéma qui, sans être vraiment novateur, peut s'avérer très efficace. Le lecteur suit deux trames parallèles qui, forcément, finiront par se rejoindre. La première concerne Jérôme, un jeune homme en pleine déprime, qui tente de s'en sortir dans un monde qui ne lui réserve pas que des bonnes surprises. La seconde concerne le général d'une armée dont on peine à croire qu'elle a un jour existé, tant c'est l'absurde qui ressort de l'accoutrement et des propos des soldats.
Le lien entre les deux univers se fait progressivement et donne lieu à quelques constructions très intéressantes, certaines planches réunissant les deux personnages de fort belle manière. Au-delà de l'aspect technique et narratif, le lecteur pourra toutefois se sentir déstabilisé par cette alternance. Il est en effet difficile de vraiment se rendre compte de ce qui unit Jérôme et son alter-ego militaire. Cette mise en scène guerrière est-elle une vision fantasmée de la vie quotidienne, avec son lot d'épreuves et de souffrances, voire de luttes à mener avant tout contre soi-même ? C'est évidemment la première explication qui vient à l'esprit, mais peut-être en cache-t-elle une autre, qu'il revient à chacun de rechercher, éventuellement en fonction de son propre vécu.
En matière de bizarrerie, Retranchés tient donc toutes ses promesses. Le dessin de Cafard, qui n'est pas sans rappeler celui d'Amaury Bouillez (PEST, Le phalanstère du bout du monde), contribue d'ailleurs largement à cette impression. Principalement sur les champs de bataille, jonchés de corps et survolés par d'étanges créatures mécaniques, son trait restitue admirablement la folie de tous ces pseudo-combattants, de même que l'opposition entre une classe dirigeante en fin de course, attachée à ses principes comme à autant de bouées de sauvetage, et un régiment plus pragmatique qui en veut à la terre entière pour son triste sort.
Formellement, quelques points viennent ternir l'enthousiasme soulevé par l'originalité de l'album. Les scènes de la vie de Jérôme, par exemple, sont en général loin d'être palpitantes, et ne renforcent pas, loin s'en faut, son capital sympathie. Les dialogues de la partie contemporaine, moins enlevés par rapport aux discours enflammés des généraux, ne constituent pas non plus une réussite. Enfin, le manque d'explications sur le pourquoi du comment risque de nuire au jugement qui ressortira d'une lecture plus cartésienne de l'album.
En fin de compte, Retranchés séduit par son originalité et déçoit par son manque de clarté. Cafard n'en reste pas moins un auteur à suivre, en attendant de voir de quel côté penchera la balance pour la suite de son parcours.