A
ujourd’hui, papa est mort. Théa, huit ans, l’a rêvé jusqu’à l’obnubilation. Plongée dans les abîmes de la solitude à la maison, elle compense à l’école par une formidable débauche d’énergie pour s’assurer un certain statut et gagner en reconnaissance. Théa grandit et le rapport à l’autre avec le jeu de rôles qu’il implique se complexifie. La peur engendrée par un mélange de nihilisme et d’exigence teintée d’idéal trace le chemin vers les antidépresseurs et les stupéfiants. Les années passent et arrive le temps de l’apaisement : introspection et découverte de son père sous un autre angle. Quand les passés se croisent, le propos passe en mode universel et le champ de l’ouverture s’étend à autrui.
Co-scénarisé par Théa et Charles Rojzman, ce premier album partiellement autobiographique est tout aussi torturé que remarquablement construit. La réconciliation est un livre qui interroge, si d’un côté il présente par bien des aspects un travail de thérapie familiale, de l’autre il aborde de manière approfondie les relations humaines. Passionné par ce sujet abordé dans plusieurs de ses ouvrages, le père a pour l’occasion été repoussé dans ses derniers retranchements par sa fille. Même si les reproches formulés par cette dernière à son encontre ne sont pas clairement définis, ils n’en sont pas moins durs et omniprésents dans l’atmosphère. Mais cette confrontation a quelque chose de salutaire, les explications dans le sens rationnel du terme sortent et il ne s’agit en aucun cas d’un mea culpa : ce n’est pas l’objet de ce livre. En outre, contrairement au poignant et remarquable Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet où le huis clos familial s’enterrait dans une discussion dramatiquement stérile, le débat s’élève au-delà de ce cercle restreint.
Organisé en chapitres, il en est un particulièrement abouti, intitulé « le bal des masques » qui offre la transition entre ce qui relève du domaine privé et son au-delà. C’est alors qu’est abordé le thème de l’image donnée. Jeux de dupes et miroir des fantasmes, car quid de l’interprétation de chacun ? C’est à ce moment que la narration fait merveille, car l’organisation de l’ensemble s’orchestre là autour d’habiles chassés croisés et parallèles entre la perception de l’enfant et celle de l’adulte. Causes et conséquences, est-il possible de briser la quadrature du cercle des relations humaines ? Beaucoup de questions sont intelligemment posées, quelques éléments de réponses sont proposés, tout aussi intéressants que cependant discutables. Un brin utopistes, à voir et tout d’abord est-il question d’autre chose dans le fond, que de cette nécessité d’échange ?
Le ton est néanmoins très noir, à l’instar d’une colorisation oscillant entre différentes tonalités d’un gris à peine bleuté des plus austères, à la limite de la moisissure. Cette mise en couleur ne varie pas d’un iota sur toute la longueur de l’album, comme si pour la dessinatrice la rémission n’était pas encore complète, là où son père apparaît plus en paix avec lui-même. Mais après avoir lu une telle bande dessinée, que penser de l’apparence ? Le trait, parfois faussement candide, transmet à lui seul tous les démons qui ont dû hanter Théa lors de la réalisation de ses planches. Les visages sont d’une expressivité absolue voire, c’est selon, complètement inexpressifs le temps d’un arrêt sur image où un groupe d’enfants, le regard vidé de toute substance, n’est pas sans rappeler celui de leurs alter-ego du film The wall. Le tout se déroule sur un décor qui n’est jamais anodin et témoigne aussi d’un certain recul.
La réconciliation n’a rien d’un classique tant graphiquement que d’un point de vue scénaristique, mais est-ce le but ? En l’occurrence, certainement pas. C’est un livre comme il n’en sort pas tous les jours, à la fois atypique et d’intérêt général tant le propos parvient à dépasser la vérité de l'individu.