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arti à la guerre, Vincent ne reviendra pas. Jamais il n'épousera Marie, jamais ils ne seront heureux ensemble. Inconsolable, l'amoureuse transie tente d'oublier sa peine en participant à des missions d'exploration spatiale. Avec ses deux coéquipières, elle sera envoyée sur une planète lointaine qui semble être jumelle à la Terre.
Comme à son habitude, Kara a fait de cette intrigue une sorte de prétexte à des considérations plus philosophiques de la part de ses héroïnes. Avec, en filigrane, des thèmes récurrents tels que la quête d'identité, la place de chacun dans la société et, bien sûr, le féminisme qui caractérise toutes ses œuvres. Dans ses précédentes réalisations, l'alchimie entre action et introspection opérait à merveille avec pour résultat des séries populaires de qualité, relevées d'un graphisme très personnel aux influences multiples. A recette habituelle, réussite habituelle ? Hélas, non !
Qu'est-ce qui ne fonctionne pas en l'espèce ? Avant tout, les personnages manquent d'intérêt : entre la surdouée qui n'en reste pas moins un enfant et la belle militaire qui essaie d'allier sens artistique et sens du devoir, en passant par la jeune fille mélancolique qui noie son chagrin dans le don de soi, les clichés ne sont pas bien loin. De tels stéréotypes n'ont a priori rien de rédhibitoire. Encore aurait-il fallu les dépasser à mesure que l'histoire avance. Les dialogues aussi empruntent à la même veine. Ou plutôt devrait-on parler de monologues, tant les différents protagonistes ne semblent vivre que pour tenir des propos égotistes et dont le style par trop littéraire manque de naturel. Il n'y a donc pas de réelle implication possible de la part du lecteur. Le manque de rythme et de suspense empêche par ailleurs de s'immerger dans l'univers de Réalités, ce qui est plutôt dommage au vu du regain d'intérêt suscité par les révélations finales sur le pourquoi du comment de cette mystérieuse planète. Elles auraient toutefois gagné à être plus un point de départ qu'une ligne d'arrivée que certains n'atteindront jamais, ayant abandonné la lecture en cours de route.
Collection Fusion oblige, le dessin revient à un Japonais du nom de Masa. Pour une première publication, le résultat est de bonne facture et donne lieu à un manga à la sauce franco-belge. Le style est soigné, les couleurs lumineuses, le mouvement bien rendu... mais l'ensemble est tout de même un peu lisse. Bien loin, en tout cas, de l'excellence de Kara sur ses autres séries, même si sa participation aux couleurs et au découpage est plus qu'évidente.
Ce nouvel album, sans être vraiment mauvais, laisse donc une impression plutôt négative. La faute en revient principalement au manque de profondeur d'un scénario qui s'arrête là où l'on voudrait qu'il commence, mais aussi à un visuel qui, à l'image d'une couverture quelconque, ne présente pas de grande originalité. Une déception, dit-on, est d'autant plus grande et douloureuse qu'on apprécie en général le travail de l'auteur. Avec Gabrielle, Le miroir des Alices et Le bleu du ciel, Kara avait enchaîné les succès dans un style de mieux en mieux maîtrisé. Le saut en arrière qualitatif observé sur Réalités n'en est que plus regrettable.
Bref, ça ressemble à du Kara mais ce n'est pas du Kara. Enfin, pas celui qu'on connaît et qu'on aime. Rendez-nous l'original !