A
près avoir dérobé un très vieux manuscrit aux pouvoirs mystérieux basés sur une interprétation de la Bible et de l’Apocalypse selon Saint-Jean, un simple moine sibérien parvient à s’élever dans la noblesse russe jusqu’aux cercles les plus intimes du Tsar. Alarmé, le Vatican envoie un espion qui se fait engager comme secrétaire de ce fameux Raspoutine. Alors que ce dernier devient un confident de la Tsarine et sauve l’héritier, les rapports de l’agent dépeignent un personnage rustre et plus porté sur la chair que sur la prière, et dont l’influence grandissante inquiète une partie de la Cour.
Entre rengaine disco signée Boney M et légende populaire finalement assez peu connue, le simple nom de Raspoutine fait déjà recette. Tarek, diplômé d’histoire dont on devine maintenant la prédilection pour l'empire Russe, s’est déjà essayé à des aventures picaresques sur le même thème avec Le Tsar Fou. Avec Raspoutine, si l’intention initiale est bien de dépeindre l’ascension fulgurante d’un simple moujik à la cour de Russie, la fiction est également présente, pour le plus grand plaisirs des amateurs de complot ésotérique qui trouveront ici un nouvel angle d’attaque contre l’Eglise Catholique, décidément peu inspirée d’avoir laissé traîner autant de manuscrits compromettants un peu partout en Europe au fil de l’Histoire.
Fort heureusement pour les lecteurs un peu lassés par ce concept largement développé ces dernières années, cet aspect demeure très secondaire dans l’intrigue. En effet, même si le pouvoir du codex est censé être à l’origine des prouesses du héros, on n’en a jamais réellement l’explication : tout réussit à ce faux prophète, sans qu’on comprenne pourquoi les puissants succombent à son charme. C’est le principal reproche qu’on pourra faire aux auteurs : ce personnage censé être fascinant a tout du rustre, il ne brille ni par le verbe ni par le physique. Hormis le fameux miracle avec le tsarévitch, aucun fait extraordinaire n’est d’ailleurs présenté, seul le côté dépravé étant largement exploité. Parti-pris sans doute qui accentue le décalage et la mystification, mais le choix est peut-être excessif : la crédibilité n’est pas au rendez-vous.
Le dessin de Vincent Pompetti convient bien aux manières un peu rustiques dans les provinces reculées du Royaume, moins à la finesse et l’élégance de la cour malgré des cadrages intéressants. La faute peut-être à des visages sur lesquels il ne paraît pas toujours très à l’aise, et aussi à des grands aplats grisâtres qui rendent l’ensemble un peu morne. La superbe peinture sur la page de garde (également sur le tome 1) fait regretter qu’il ne se soit pas orienté sur cette technique, fut-ce au détriment de la parution rapide des trois volumes de la trilogie.
Finalement, le dénouement promis en janvier 2008 vaudra la peine d’être lu, ne serait-ce que pour en apprendre un peu plus. C’est peut-être ce qui est le plus étrange avec Raspoutine, comme pour certains personnages historiques méconnus : les évoquer, même avec quelques imperfections comme c’est le cas ici, suffit à susciter le mystère et l’intérêt. De ce point de vue, et grâce à un ensemble plutôt bien ficelé, on ne peut que se féliciter de l’initiative de Tarek et Pompetti.